Dans «Argentina», le vent chante de la pampa aux Andes

Né en 1932 en Aragon, Carlos Saura est venu au cinéma dans les années 60 avec des films stigmatisant le franquisme, tels Les Voyous, Le Jardin des Délices, Anna et les Loups et Cria Cuervos, son œuvre la plus célèbre. Grand mélomane, il s’est ultérieurement spécialisé dans la mise en scène de musiques et de danses hispaniques avec Noces de sang, Carmen, Tango, Flamenco, Fados, puis Flamenco, Flamenco et à présent Argentina.

Le réalisateur espagnol installe sa scène dans une vaste grange de La Boca, le quartier du tango de Buenos Aires. Dans ce lieu clos, il met en scène une fresque musicale qui se déroule de la Pampa aux Andes, un cortège rassemblant gauchos et indiens Mapuche. Le titre originel est «Zonda», c’est le nom d’un vent qui souffle des Andes jusqu’à l’Atlantique, posé en métaphore d’une culture qui s’est construite au gré des flux migratoires: les Espagnols amènent la zarzuela et les Italiens leurs chansons, les Allemands introduisent l’accordéon. Le tango, le genre roi de l’Argentine, est peu présent dans ce son et lumière donnant à entendre les rythmes des champs et de la ville: la zamba, la cueca, la diablada, la baguala, le chamané, la colpa, la chacarera, la tonada…

A la virtuosité d’un pianiste succèdent la corne et les tambours rudimentaires des paysans indiens, la complainte mélancolique d’un vrai gaucho clamant sa mélancolie, une poignante chanson d’amour, un air de charango, des danses vives et colorées…

Musique éternelle

Grand cinéaste, grand metteur en scène, Carlos Saura filme avec élégance des prestations vocales fortes et des chorégraphies parfois un peu kitsch, en les agrémentant de jeux de miroirs et d’ombres. En plaçant ces artistes dans un décor abstrait, il cherche l’épure; ce dispositif coupe malheureusement de tout ancrage les héritiers d’une longue tradition. Argentina miroite comme un kaléidoscope plutôt que de se feuilleter comme une encyclopédie. Quelques paysages, quelques éléments didactiques auraient enrichi l’expérience sans nuire aux prestations artistiques par ailleurs excellentes.

Quelques pupitres d’école font face à un écran sur lequel est projeté un film dans lequel l’immense Mercedes Sosa chante «Todo Cambia» («Tout change»). Les gosses joignent leurs voix, tapent dans leurs mains, l’émotion grandit. Le flambeau de la tradition passe à une nouvelle génération. La zonda souffle encore. La musique argentine est éternelle, avec ou sans Saura.

{2 étoiles} Argentina (Zonda: folclore argentino), de Carlos Saura (Argentine, France, Espagne), 1h25.

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