«El Clan», morts au foyer

C’est ce qu’on appelle une histoire de dingues. Au début des années 80, en Argentine, alors que l’arrivée de la démocratie était freinée par les derniers réseaux des juntes, une famille de la classe moyenne supérieure, les Puccio, se lançait dans une série de kidnappings. Ils séquestraient, réclamaient des rançons et, une fois le magot en poche, assassinaient leurs victimes. Il n’y avait pas qu’un seul coupable, mais toute une famille : les fils étaient réquisitionnés pour les rapts, la mère servait une portion du repas à part pour la victime enfermée dans la cave, et les hurlements du pauvre hère résonnaient dans toute la maisonnée, dérangeant à peine les plus jeunes filles qui faisaient leurs devoirs sur la table du salon. Dans El Clan, qui lui valut le lion d’argent du meilleur réalisateur à la récente Mostra de Venise, Pablo Trapero adapte cette histoire de fous. Le cinéaste argentin décrit moins la manière dont les Puccio ont longtemps contourné toutes les règles d’un pays nouvellement libre, la façon dont les cercles mafieux de la dictature ont pu subsister à leur chute, que la vie quotidienne de cette famille. En particulier, il s’attache à la figure du cadet Alejandro, beau gosse et rugbyman dont la cote dans la bourgeoisie de Buenos Aires rendait impensables les horreurs pratiquées. Le problème du film est qu’en évacuant trop vite l’indécence du système qui a pu amener à de tels faits divers, il rend seulement compte d’une association de malfaiteurs, ici quasiment glamourisés par une musique pop et un traitement du son qui fait la part belle aux hurlements des victimes ou aux vociférations des membres de la famille Puccio, arrêtés en 1985. Condamné à la prison à vie, le patriarche Arquimedes en sortit en 2008 et mourut à 83 ans en 2013, ayant toujours clamé son innocence, emportant avec lui un secret que le film de Trapero peine à éclairer.


Clément Ghys

El Clan de Pablo Trapero avec Guillermo Francella, Peter Lanzani, Lili Popovich… 1 h 48.

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