Comprendre la politique Argentine en 10 leçons (1/10)

pour comprendre quelque chose à l'Argentine il faut commencer par préciser un certain nombre de différences essentielles par rapport à la France qui tiennent à l'histoire du pays et à une articulation différente des rapports de classe:

1°) l'Argentine n'est pas un pays laïque: sa constitution stipule que le Président de la République doit appartenir à la religion catholique romaine. Plus généralement, l'influence du haut clergé catholique (massivement réactionnaire et obscurantiste) dans le débat public ne doit jamais être sous-estimé.

2°) l'Argentine est essentiellement un pays d'immigrants (en gros 45% d'espagnols, 45% d'italiens, 5% de français et 5% d'autres européens) avec comme pêché originel (comme les USA) le génocide des indiens (Mapuche essentiellement) par le Général Roca ("la conquête du désert") à la fin du 19ème ; culturellement, l'Argentine se revendique plus volontiers de ses racines européennes que ses voisins et l'Argentin moyen est en permanence tiraillé entre une revendication assez européenne du "welfare state" et une conception plutôt restrictive (nord-américaine) du rôle de l'Etat; une oligarchie agricole (devenue depuis agro-industrielle) s'est créée entre 1870 et 1920 par l'accaparement privé des terres prises aux Indiens et son influence reste importante (bien plus que celle de la FNSEA en France, qui n'est pourtant pas un lobby négligeable)

3°) l'Argentine est un état fédéral difforme: la province de Buenos Aires et la capitale fédérale regroupent environ 40% de la population totale du pays et c'est le gouvernement central qui pilote l'allocation des ressources nécessaires aux provinces pauvres; l'autonomie de gestion des politiciens locaux y est donc en permanence définie et limitée par le rapport de force qu'ils entretiennent avec le pouvoir central. Les barons locaux sont assez souvent des "caudillos" de père en fils c'est-à-dire des "vrais chefs" forts en gueule qui projettent une image de mâle dominant (un peu comme Poutine en Russie) en s'appuyant sur leur propre réseau clientélaire (à côté des gouverneurs des grandes provinces, les Gaudin, Aubry, Collomb etc. ne sont que des élus cantonaux)

4°) l'Argentine n'est pas un pays méritocratique: en dehors de quelques trop rares institutions éducatives et scientifiques, l'obtention d'un poste quelconque dans l'administration publique ne résulte pas de votre capacité à réussir un concours anonyme mais de l'étendue et de la puissance de votre réseau de relations personnelles et familiales. Le copinage (appelé là-bas "amiguismo") y règne en maître avec tous ses corollaires: amateurisme, clanisme, clientélisme, corruption, incompétence professionnelle...

5°) l'Argentine est un pays endémiquement et profondément corrompu: contrairement à ce que vous raconte la propagande anti-kirchnériste, le niveau actuel de corruption des politiques est aujourd'hui plutôt inférieur à ce que pratiquaient les grands anciens: Sarmiento, le père fondateur du système d'éducation publique argentin, combattait violemment la corruption au temps de Roca: il avait même forgé le verbe "atalivar" à partir du prénom du frère du Général Roca afin de décrire la gestion très familiale de cette corruption massive d'avant 1900; plus récemment, l'ex-Président Ménem a détourné vers des paradis fiscaux des centaines de millions de dollars à l'époque des privatisations massives. Bref, par rapport aux pratiques antérieures les dirigeants actuels sont plutôt des petits joueurs (ce qui ne veut pas dire qu'ils soient honnêtes...)

(à suivre)

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