Stéphanie Gibaud, profession lanceuse d’alerte

Ils prennent des risques inconsidérés pour nous alerter sur le monde occulte de la finance, des multinationales et des États au détriment de leurs vies privées et de leur sécurité. Pourtant, certains les considèrent comme des traitres. Ce sont les lanceurs d’alertes ou whistleblower, des gens comme vous et moi, qui un jour ont décidé de dévoiler les secrets qui menacent la démocratie et nos libertés. Stéphanie Gibaud est l’une d’entre-elle.

Après 12 ans au sein de la banque UBS (Union des Banques Suisses) en tant que responsable Marketing, elle dénonce les stratégies commerciales illicites qu’UBS applique pour capter et dissimuler l’argent de ses clients. En cet automne 2015, elle devrait débarquer  en Argentine accompagnée par Hervé Falciani (lanceur d’alerte de la banque HSBC) pour former des fonctionnaires des impôts aux techniques anti-fraude fiscale. Un pays qui recherche activement plus de 4000 comptes bancaires argentins placés en Suisse chez HSBC par ses contribuables. Une fraude estimée à 3,5 milliards de dollars.

Un jour, on m'a demandé d'effacer mon disque dur

Jean-Jérôme Destouches : Comment êtes-vous devenue lanceuse d’alerte ?

Stéphanie Gibaud : En 2008 éclate l’affaire américaine Bradley Birkenfeld (un banquier américain, premier lanceur d’alerte d’UBS, qui a collaboré avec les autorités des États-Unis concernant les colossales fraudes fiscales de cette banque, ndlr). J’étais surprise de voir que personne ne commentait cette affaire au siège d’UBS France. Pourtant les médias américains n’arrêtaient pas d’en parler ! UBS pouvait perdre sa licence aux États-Unis et dans ma banque les gens faisaient comme si rien ne s’était passé. Je me posais beaucoup de questions et je ne me doutais pas de l’ampleur de cette affaire. Mais le 25 juin 2008 les choses se sont grandement compliquées. La police a effectué une perquisition dans le bureau du directeur général de ma banque. Suite à cet événement ma supérieure hiérarchique m’a ordonné avec insistance d’effacer mon disque dur et de détruire mes archives papiers. J’étais très occupée par l’organisation d’un événement de Golf (son travail en tant que responsable marketing et événementiel était d'organiser des tournois de golf pour promouvoir la banque, ndlr) et je ne l’ai pas fait. Les documents qu’elle voulait que je détruise rassemblaient des informations personnelles sur les clients et sur leurs chargés d’affaires UBS en Suisse, au Luxembourg et à Monaco. Le travail de ces chargés d’affaires consistait à gérer leurs comptes clients et à leurs vendre des produits financiers. Je ne comprenais toujours pas le lien entre l’affaire Birkenfeld, la perquisition chez le président d’UBS et l’ordre de détruire mes fichiers. Jusqu’à ce que plusieurs commerciaux de la banque me racontent tout !

Qu’est-ce  que ces commerciaux de la banque d’UBS vous ont-ils raconté ?

Stéphanie Gibaud : Ils m’ont très clairement expliqué que la banque les avait forcés à collaborer avec des chargés d’affaires suisses d’UBS. Démarcher des clients dans un autre pays pour leurs vendre des produits offshore est un acte totalement illégal. C’est pour cela que la banque m’en voulait beaucoup, en me bannissant des réunions et en m’interdisant d’envoyer des mails, car en tant que responsable Marketing, j’étais au cœur de l’attraction de ces clients.

Face à ces révélations qui ont dissipé vos doutes, qu’avez-vous ressenti ?

Stéphanie Gibaud : J’étais dans un état de panique absolue ! J’étais trahie par la Rolls-Royce des banques. La banque la plus puissante, la plus prestigieuse et la mieux notée au monde. Je traversais la frontière en permanence entre la France et la Suisse pour aller rencontrer des chargés d’affaires à Genève sans me douter qu’ils me mentaient et qu’ils me mettaient en situation de risque professionnel. Par chance, j’ai bien fait de ne pas détruire mes fichiers. Parce que si je l’avais fait UBS aurait pu se retourner contre moi en disant : « c’est elle qui a détruit les fichiers, c’est pas nous ! »

C’est pour cela que vous n’avez pas pris le risque de détruire ces fichiers. C’était avant tout pour vous protéger ?

Stéphanie Gibaud : Au début je ne comprenais pas du tout pourquoi ils me demandaient de détruire mes fichiers ! Encore une fois le choc a été monstrueux et je ne savais pas comment faire face à cette situation. Je me disais 'je suis juste la mère de mes enfants et je suis dans un film dont je ne connais pas le scénario' ! Je suis donc allée voir un avocat qui m’a formellement conseillée de ne rien détruire sans ordre écrit. Ensuite, désespérée je suis allée voir l’inspection du travail pour tout leur raconter. En 2009, UBS a tenté de se débarrasser de moi lors d’un plan social. C’est une inspectrice du travail qui m’a dit qu’elle pouvait me protéger au niveau social et pas plus. Elle m’a dit : « je vais signaler le cas d’harcèlement moral que vous subissez pour avoir refusée de détruire vos fichiers au procureur de la République mais au niveau pénal vous allez porter plainte auprès de votre employeur ». Un procès contre UBS que j’ai récemment gagné, en mars 2015. (NDLR : la filiale française d’UBS a été condamnée à lui verser 30 000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral).

En 2015 Stphanie Gibaud le prix Anticor pour son action en vue de rhabiliter la dmocratie reprsentative, de promouvoir lthique en politique, de lutter contre la corruption et la fraude fiscale

Vous avez ensuite décidé de collaborer avec les douanes judiciaires concernant le scandale des fraudes fiscales d’UBS ?

Stéphanie Gibaud : En 2011, j’ai transmis aux douanes judiciaires la liste illégale de clients de la banque d’UBS et de leurs chargés d’affaires. Je comprends pourquoi la banque m’en veut beaucoup ! UBS a dû payé la caution record d’un milliard et cent millions d’euros à la justice française. Le Ministère des Finances de Bercy m’a écrit au moi de mars 2015 ainsi qu’à Hervé Falciani (lanceur d’alerte de la banque HSBC, ndlr) pour nous remercier des sommes considérables recouvrées grâce à nous. Mais malgré notre aide ils nous ont fait bien comprendre qu’ils ne pouvaient rien faire pour nous.

Après cette affaire votre nom a commencé à circuler en tant que « l’ex d’UBS la lanceuse d’alerte" et vous avez même été invitée par l’Argentine en tant que consultante anti-fraude fiscale. Pouvez-vous nous expliquer comment l’AFIP (le Fisc argentin) s’est rapprochée de vous et de Mr Hervé Falciani ?

Stéphanie Gibaud : J’ai été contactée par l’AFIP (Fisc argentin) au mois de juin 2015 pour m’inviter à former une quarantaine d’employés pour lutter contre la fraude fiscale. J’ai rencontré le directeur de l’AFIP Mr Ricardo Echegaray à l’Ambassade d’Argentine en France. Nous avons eu une réunion concernant les problématiques de l’Argentine face à l’évasion fiscale dans leur pays.

Je vais expliquer aux fonctionnaires argentins comment trouver des informations

L’Argentine veut que vous leur donniez les informations concernant les quelques 4000 comptes 'offshore' des ressortissants de leurs pays ?

Stéphanie Gibaud : Je l’ai bien expliqué aux médias mais j’ai l’impression que les gens ne comprennent pas ! Il y a une confusion entre le dossier UBS et HSBC. Je n’ai pas de liste avec les noms des clients argentins. Je ne dispose pas de ces informations. L’Argentine a besoin de moi pour former ses fonctionnaires. Je vais leur expliquer comment trouver des informations, où ils peuvent la trouver, comment ils peuvent la décrypter et je vais leur expliquer les différents types de produits offshore auxquels ils vont être confrontés. Et bien sûr je vais leur détailler les techniques de démarchage des clients. Il ne faut pas penser que ce sont les Argentins qui prennent l’avion pour aller en Suisse. Il y a des tonnes de techniques pour capter des clients à l’étranger. Je vais aussi leur expliquer les différents profils des clients de comptes offshore ! Comme les sportifs de haut niveaux par exemple. Comme vous le savez la plupart des joueurs de football argentin ou de tennis ont tous des comptes bancaires en Europe. En bref, je vais leur expliquer les mécanismes qui font que l’on arrive à ces milliards de dollars qui s’accumulent dans les paradis fiscaux au nez et à la barbe des États. L’Argentine veut aussi améliorer son système de lois et notamment la punition des dirigeants des banques.

Il faut que les dirigeants des banques aillent en prison

Est-il envisageable de condamner les dirigeants des banques pénalement en cas d’aide à l’évasion fiscale ?

Stéphanie Gibaud : Je milite pour ça en France ! Car les amendes infligées aux banques ne servent à rien ! Même si elles sont gigantesques. Regardez en 2014, BNP Paribas a écopé aux États-Unis d’une amende de neuf milliards de dollars ! Les banques peuvent payer de l’argent c’est leur métier ! Donc, si elles sont capables de payer neuf milliards imaginez combien elles ont préalablement gagné. Ce qu’il faut, ce sont des règles pénales. À partir du moment où ce sont des banques qui payent, le système continue de fonctionner. Quand les dirigeants du Crédit Suisse se sont fait épingler aux États-Unis ils ont déclaré :  "on est responsables mais pas coupables". Il faut que les dirigeants des banques aillent en prison.

Quelle est la réaction d’UBS face aux informations confidentielles que vous avez transmises au Fisc Français et maintenant à l’AFIP argentine ?

Stéphanie Gibaud : Ils savent que je détiens beaucoup d’informations sur leur cas. J’ai révélé il y a plusieurs mois l’existence d’un département spécial « Amérique du sud » au siège de l’UBS à Genève. Je sais que la banque UBS est en train de préparer une communication de crise dès que je vais être sur le sol Argentin. Il va bien falloir qu’ils trouvent des pare–feux. En France , ils essayent de me faire passer pour une folle qui a inventée toute cette histoire pour gagner beaucoup d’argent. Personne ne se doute de ce que j’ai vécu depuis ce scandale. Vous pouvez imaginer qu’une personne face à une banque ne représente absolument rien. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai demandé au directeur de l’AFIP, Mr Ricardo Echegaray d’assurer ma sécurité pendant l’intégralité de mon séjour en Argentine.

Vous craignez pour votre sécurité ?
    
Stéphanie Gibaud : Absolument !

En Argentine nous sommes à quelques semaines de l'élection présidentielle. N’avez-vous pas peur de devenir un instrument politique au détriment des valeurs d’honnêteté que vous revendiquez ?

Stéphanie Gibaud : Il est évident que l’on peut faire un lien de cause à effet. Moi, on me demande de faire quelque chose qui est intéressant et fort de sens. Je vais voir des fonctionnaires de l’AFIP pendant une semaine pour les aider à décrypter un certain nombre de choses. Je trouve que c’est positif et que cela va dans le sens de la démocratie. Je ne pense pas que les 40 personnes que je vais voir ont forcément les mêmes opinions politiques que la présidente Kirchner. J’ai un message à faire passer et c’est celui de la finance occulte.

Pourquoi avez-vous demandé au Gouvernement Argentin une loi de protection des lanceurs d’alerte au G20 ?

Stéphanie Gibaud : J’en ai en effet parlé le 17 juin 2015 à l’Ambassade d’Argentine en France pendant ma réunion avec l’AFIP Argentin (Fisc argentin). Parce que, vous voyez, nous vivons dans le pays des droits de l’Homme et c’est un pays comme l’Argentine qui est venu me chercher. J’ai trouvé cela vraiment démocratique et je me suis dit  qu’en demandant à l’Argentine de porter cette question de protection des lanceurs d’alerte devant le G20 cela allait peut être faire réagir la France « le pays des droits de l’Homme ».

En tant que lanceuse d’alerte, la France ne vous a pas apporté son soutien ?

Stéphanie Gibaud : J’ai participé il y a plus d’une semaine à un débat concernant la protection des lanceurs d’alerte organisé par Europe Écologie les Verts.  Celui-ci était animé par Edwy Plenel et on était en duplex avec Julian Assange le fondateur de Wikileaks qui est réfugié depuis 2012 à l’Ambassade de l’Équateur au Royaume-Uni. En juillet 2015, Julian Assange a demandé à François Hollande l’asile politique. L’Élysée a répondu en 24h que cela n’était pas possible ! Nous avons écris avec Antoine Deltour (lanceur d’alerte du LuxLeaks) au président François Hollande pour lui rappeler que nous étions le pays des droit de l’Homme et que nous avons tous milité en janvier 2015 pour la liberté d’expression après l’attentat contre Charlie Hebdo. Julian Assange a donné des informations sur la sécurité de la France concernant les écoutes de la NSA (National Security Agency) grâce au lanceur d’alerte Edward Snowden. Je pense que c’était la moindre des choses de prendre le temps de réfléchir à sa demande d’asile.

Je ne savais pas à l’époque que j’étais sur une affaire d’État

En parlant d’écoute vous avez aussi déclaré être traquée comme une bête. Par qui ?

Stéphanie Gibaud : Par la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur de France). C’est le journaliste Antoine Peillon qui m’a dit que j’étais suivie par les services du renseignement Français. Cela fait très peur et je ne savais pas à l’époque que j’étais sur une affaire d’État. D’ailleurs, je pense que c’est grâce à son livre « Ces 600 milliards qui manquent à la France » (Ed du Seuil) que ma plainte auprès d’UBS pour harcèlement n’a pas été enterrée.

Depuis votre départ d’UBS, retravaillez-vous ?

Stéphanie Gibaud : C’est la grande question (rire). Je suis sortie d’UBS en 2012 à peine vivante. J’étais au bout du rouleau. Je suis donc partie en vacances. Quand je suis rentrée j’ai envoyé plus de mille CV en 1 an et demi. Je n’ai reçu aucune réponse alors que je suis quelqu’un de compétent qui a travaillé aux États-Unis et au Royaume-Uni. Quand j’ai continué à chercher du travail auprès de cabinets de recrutements certains m’on dit : « Madame, vous faites peur ! On ne peut pas recruter quelqu’un comme vous ».

Dans ce cas comment vivez-vous ?

Stéphanie Gibaud : C’est un acte de résistance au quotidien. J’ai des parents et heureusement que dans ma vie jusqu’à aujourd’hui j’ai toujours été plus fourmi que cigale. Comme je suis à moitié américaine je donne des cours d’anglais aux enfants de mon quartier. Europe Écologie les Verts m’a demandé de leur écrire un rapport pour que le Parlement européen puisse présenter une loi de protection pour les lanceurs d’alerte. Et puis, il y a bien sûr l’Argentine qui m’appelle pour me donner cette mission de formation de ses fonctionnaires. J’ai aussi écrit un livre que l’on va certainement traduire en espagnol.

Face à nous il y a des lobbys ultra-puissants

Vous êtes en contact avec Julian Assange et de nombreux lanceurs d’alerte. Quels sont vos objectifs pour remédier à la sous-protection des lanceurs d’alerte ?

Stéphanie Gibaud : Le monde de la finance occulte doit représenter à peine 1%. Nous sommes beaucoup plus nombreux mais pas encore vraiment organisés. C’est pour cela qu’avec Hervé Falciani nous avons co-créé la Plateforme Internationale des Lanceurs d’Alerte (PILA). Je suis persuadée que ce qui nous a "planté" c’est la globalisation et ce qui va certainement nous sauver c’est justement la globalisation ! Si les Argentins peuvent donner la main aux Français, aux Canadiens, aux Australiens etc. dans cette résistance on devrait arriver à faire passer des lois. Je pense que si la France pays des droits de l'Homme votait une loi de protection, elle permettrait de faciliter son adoption par le Parlement européen. 
Face à nous il y a des lobbys ultra-puissants et c’est d’ailleurs pour cela qu’après l’Argentine je vais au Canada et aux États-Unis. Je veux absolument aller à Boston pour rencontrer Elizabeth Warren (femme politique américaine spécialisée dans le domaine de la finance et dans la défense des consommateurs). Je commentais aussi à Eva Joly qu’il faudrait collaborer avec elle et pourquoi pas aussi avec Aung San Suu Kyi. Il faudrait peut-être appliquer une loi pour qu’au niveau politique les présidents des paradis fiscaux ne soient plus invités au G20 ou à l’ONU. Il faut absolument faire quelque chose car ce sont les 80 personnes les plus riches du monde qui décident de la vie d’un milliard 500 millions d’habitants. Ce sont eux qui décident de ce que l’on boit, mange, respire et de ce que l’on doit payer comme impôts. Que décideront-ils demain ?

Vous n’avez plus de travail fixe, personne ne veut prendre le risque de vous embaucher et vous craignez pour votre sécurité. Vous ne regrettez pas votre nouvelle vie ?

Stéphanie Gibaud : J’ai une amie qui vit à Boston et quand je l’ai vue elle m’a dit "je te trouve tellement plus cool et tranquille". Je crois qu’en fait j’ai trouvé ma place. Cela a mis un certain temps. Ce sont de grandes difficultés au quotidien mais c’est un combat avec des valeurs. Un jour un journaliste suisse m’a dit pendant une interview concernant le scandale UBS : « En fait vous êtes une traitre ! » Je lui ai rappelé qu’il y a 70 ans des gens ont caché des enfants juifs. Ces gens là étaient des « traitres » au régime de Vichy. Aujourd’hui, des rues portent leurs noms. Ce sont des héros ! En France, on aime bien les héros, mais à titre posthume.

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