L’horreur d’une famille modèle argentine, en période de transition …

"El Clan" de Pablo Trapero © Diaphana

 

Sortie nationale (France) du 10 février 2015 : El Clan de Pablo Trapero

Adapté d'un fait divers, cette histoire continue à effrayer plus de trente ans plus tard. Dans le thriller made in USA manichéen, finalement faire du serial killer une figure marginale, exclue de la société (cf. l'emblématique serial killer de Seven de David Fincher) était plutôt confortable et ne remettait aucunement en cause, ou finalement si peu, l'organisation de la société. Pablo Trapero choisit un tout autre angle qui n'aurait d'ailleurs pas déplu à Hitchcock lui-même, en traitant indirectement de la dictature, dans la brillante lignée de ce qu'a pu faire Pablo Larraín dans son triptyque sur la dictature chilienne, par le biais d'une famille en apparence si ordinaire... Mais l'armée argentine n'est pas loin, car c'est elle qui donne ses ordres et protège la famille criminelle. Le film donne à voir l'horreur d'une dictature qui massacre toute une population sous des apparences de bienséance vis-à-vis de ses relations avec l'extérieur en usant inlassablement des plus bas instincts de ses concitoyens. Pour ce point de vue aussi, le film est politique. Il constitue une véritable réussite en terme de film de genre, ce que peu de cinéastes en Amérique latine, à part quelques notables exceptions, osent et réussissent à faire. Trapero depuis son premier long métrage Mundo grua en 1999, dispose d'une longue expérience filmique qui lui permet d'assumer toutes ces prétentions et désirs de cinéma. En plus de poursuivre sa veine du thriller social, Trapero y ajoute la reconstitution historique d'un fait divers. Il l'assume complètement en proposant un montage dynamique, mêlant les périodes historiques qui tentent de mettre au même niveau le spectateur argentin qui est susceptible de connaître cet effroyable fait divers, que tout autre spectateur en présentant avec bruit et fracas le désordre de l'arrestation finale dès l’ouverture du film. Ce choix de montage permet également d'interroger les médias qui ne s'intéressent qu'à cette dernière scène spectaculaire d'arrestation sans aller chercher à interroger l'inquiétante horreur de la famille modèle argentine engendrée par un pouvoir politique oppressif.

Le paradoxe est qu'il n'est pas nécessaire de comprendre la réalité du contexte historique argentin pour entrer pleinement dans l'histoire saisissante de Pablo Trapero qui a réellement bien intégré les recettes d'Alfred Hitchcock, non pas en les renouvelant à la manière d'un David Fincher, mais en les assumant pleinement par leurs formes classiques. Il ajoute à cela sa touche personnelle : alors que le héros hitchcockien est un être solitaire, sans famille, la famille est ici l'enjeu même du récit avec cette figure de père castrateur aussi bien pour l'ensemble de la société que pour toute sa famille. Trapero a choisi de faire du rapport entre un père et son fils, la trame même de son récit. On entre là de plain pied aussi bien dans la tragédie classique que dans la psyché de la société argentine où les nouvelles générations sont appelées à interroger les horreurs tues issues de celles qui les ont engendrées.

Le film est excellemment porté par l'acteur Guillermo Francella dans un rôle à contre emploi : son regard perçant et son sourire avenant utilisés habituellement dans le rôle de personnages sympathiques (cf. Felicidad de Daniel Burman) deviennent ici très effrayants. On retient avant toute autre interprétation du film la sienne, à tel point que les autres personnages s'effacent devant le sien, en parfaite cohérence avec son personnage castrateur qui vampirise toute initiative autour de lui. Après la très belle collaboration avec Ricardo Darín (Elefante blanco, Carancho), Pablo Trapero démontre une fois de plus la très belle synergie qu’il sait créer avec un acteur en particulier.

 

 

 

 

el-clan-affiche-web1el-clan-affiche-web1 El Clan

El Clan

de Pablo Trapero

Fiction

108 minutes. Argentine - Espagne, 2015.

Couleur

Langue originale : espagnol

 

Avec : Guillermo Francella, Peter Lanzani, Lili Popovich, Gaston Cocchiarale, Franco Masini, Stefania Koessl, Giselle Motta, Antonia Bengoechea

Scénario : Pablo Trapero

Sociétés de production : Kramer Sigman Films, Matanza Cine, El Deseo
Producteurs : Hugo Sigman, Matias Mosteirin, Augustin Almodovar, Pedro Almodovar, Esther Garcia, Pablo Trapero
Producteurs exécutifs : Pola Zito, Leticia Cristi
En coproduction avec Telefé et Téléfonica Studios
Coproducteur : Axel Kuschevatzky

Images : Julian Apezteguia
Assistante réalisatrice : Fabiana Tiscornia
Décors : Sebastian Orgambide
Son : Vicente D’Elia
Montage : Pablo Trapero, Alejandro Carrillo Penovi (SAE)
Musique originale : Sebastian Escofet
Costumes : Julio Suarez
Maquillage et coiffure : Araceli Farace
Chargé de production : Carolina Agunin
Casting : Javier Braier

Distributeur (France) : Diaphana

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