Les nationaux-populistes sortent le revolver, inévitablement

Le principal opposant de Vladimir Poutine meurt sous les balles à deux pas du Kremlin. Le procureur qui s'apprêtait à incriminer publiquement la présidente argentine Cristina Kirchner est retrouvé mort, une balle dans la tête, quelques heures avant son audition. Les manifestations contre le régime du président vénézuélien Nicolas Maduro ont fait 43 morts l’an dernier.

Les gouvernements nationaux-populistes acculés par leurs désastreux résultats économiques et sociaux durcissent logiquement la répression contre les partis d’opposition, contre les personnalités qui se lèvent, contre la presse. Au Venezuela le dernier journal social-démocrate, Tal Cual, traîné sept fois devant les tribunaux, vient de fermer. Ses journalistes veulent continuer sur une version internet. En Argentine, la présidente a nationalisé la société de production de papier journal pour « tenir » les éditeurs par les prix. La Société Intermaméricaine de Presse dénonce les « attaques officielles incessantes contre les organes qui sont critiques » en Argentine. La Russie est classée 148e dans le classement du World Press Freedom Index, encore plus bas que le Venezuela, 116e.

C’est un engrenage inéluctable, toujours vérifié : le national-populisme en vient à dénoncer un « complot » contre lui, la plus part du temps ourdi par les Etats-Unis. Les opposants sont financés et manipulés par l’extérieur, les journalistes en sont les relais, voire les agents. Cette accusation est vraie partout, seul son degré varie. En France, le Front national s’en prend lui aussi au complexe médiatico-politique et il censure les journaux qui lui déplaisent en leur interdisant le suivi d’événements qui le concerne, comme des campagnes électorales. Jean-Luc Mélenchon, de son côté, n’est jamais avare d’emportements contre tel journaliste ou tel photographe.

Engrenage logique, comme par définition. Le national-populisme est un simplisme – la réalité complexe est ramenée à une explication magique et une solution de la même eau – il supporte donc mal la contradiction. Mais une fois au pouvoir, la solution magique tardant à porter ses fruits, les dirigeants se braquent et accusent les autres de leurs difficultés croissantes. Or, justement, celles de Kirchner, de Maduro et de Poutine sont terribles. Leurs trois pays seront en récession cette année : le FMI attend des chutes du PIB de respectivement 1,5%, 7% et 3% au moins.

La croissance mondiale se consolide, sauf dans les pays nationaux-populistes. La chute du pétrole et des matières premières est en, certes, une cause, mais elle n’en est pas la seule. Le FMI note sèchement sans ses perspectives annuelles : « On prévoit que l’Argentine reste en récession en 2014-15 (après -1,7% l’année précédente) dans un contexte de persistance de déséquilibres macroéconomiques et d’incertitudes à propos de la confrontation prolongée avec certains créanciers du pays. L’inflation reste forte et, au cours des mois récents, l’écart s’est de nouveau creusé entre les taux de change officiel et informel ». Ces « incertitudes » viennent du conflit avec les créanciers internationaux portant sur la répudiation de la dette au début des années 2000. Leçon au passage : répudier sa dette vous marque le front au fer rouge vis-à-vis des investisseurs et désormais les fonds vautour viennent, encore dix ans après, chercher à vous faire payer.

Concernant le Venezuela, le FMI déplore que « de sérieuses distorsions de politique économique devraient continuer à gêner la production, entraînant un chute de l’activité, tandis que le taux d’inflation dépasse actuellement 60 % ». C’est un résumé clinique. Sur place, la situation est cauchemardesque. La chute vertigineuse de la monnaie locale, le bolivar, est telle qu’une pédiatre salariée d'un hôpital public ne gagne plus que l’équivalent de 33 dollars américains par mois, raconte The New York Times. Les pénuries sont généralisées, y compris de produits de base comme le lait et le savon. La « révolution bolivarienne » engagée par Hugo Chavez et dramatiquement empirée par son successeur Nicolas Maduro depuis sa mort en 2013, débouche sur une corruption sans nom et une administration perdue dans un labyrinthe de circuits bureaucratiques parallèles, concurrents, incompréhensibles. Le pays est menacé d’hyperinflation et de tyrannie. « Camarades ! Nous devons reconnaître la crise », avait admis Jorge Giordano, le ministre des Finances, l’an passé. Il a été viré.

Vladimir Poutine n’est pas dans un tellement meilleur état. La récession officielle sera de 3%, beaucoup d’observateurs s’attendent à un recul de 10%, si le baril ne remonte pas. La défiance des Russes eux-mêmes mène à une fuite gigantesque de capitaux qui menace d’entraîner rapidement le pays, pourtant riche, à la banqueroute. Les liquidités accumulées avec un baril à 110 dollars se montaient à 257 milliards de dollars au 1er juillet, au moment de la mise en place des sanctions européennes et américaines. Depuis, elles ont fondu de 40% à 153 milliards. Le gouvernement a dû utiliser deux fonds souverains pour renflouer des grandes entreprises endettées en devises et étranglées par la chute du rouble. Mais au delà des problèmes financiers, l’économie réelle russe souffre. L’investissement devrait se contracter de 14% cette année, aux dires du ministère du Développement économique lui-même. Plus grave encore, comme l’inflation est de 15%, les salaires en termes nets ont reculé de 8% depuis un an. Ils devraient se contracter encore de 9% cette année. Les dépenses budgétaires coupées de 10% ont besoin d’un nouveau coup de hache de 7%, selon le ministère des Finances. Les agences gouvernementales se sont vu offrir le choix : sabrer dans les effectifs ou trancher dans les salaires. Londres, samedi, a renforcé les sanctions en s’opposant au rachat par l’oligarque Mikhail Fridman d’une filiale britannique du géant énergétique allemand RWE.

Vladimir Poutine fait face une crise qui débouche sur un très fort recul du pouvoir d’achat des Russes. On comprend qu’il se braque. Il n’entend visiblement pas abandonner sa politique nationaliste de déstabilisation et de conquête à ses frontières dont le coût, additionné à celui du pétrole, menace sérieusement son pouvoir interne, pour la première fois. Pris dans l’engrenage de la crise et de la violence, il est forcé à se durcir encore et encore.

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