C'est l'histoire d'un étranger qui a débarqué en France l'été dernier. Non, il ne vient pas d'Afrique et non il n'est pas arrivé via Lampedusa. Lui, il vient de l'autre côté de l'Atlantique, il vient d'Argentine, « ce morceau d'Europe qui a dérivé », comme on l'appelle. Il est arrivé en France pour travailler, ça s'apparente donc à une migration de travail. Il est venu pour gérer un groupe avec une solide réputation d'autoritarisme et une capacité innée pour sublimer ses hommes. Presque partout où il est passé il a été adulé : de l'Argentine à l'Espagne en passant par le Mexique et le Chili, que des pays à culture hispanique ce qui explique peut-être son succès auprès des critiques. Sa réputation a dépassé les frontières, à tel point que des pointures dans son domaine reconnaissent l'ériger en modèle et avoir tout appris grâce à lui. Ce portrait élogieux peut donc laisser penser qu'il va être accueilli à bras ouverts en France.
Et pourtant dès son arrivée le scepticisme est grand. On remet en cause ses méthodes avant même qu'il ait pu commencer à travailler, on affirme haut et fort que sa méthode de management ne tient jamais sur la durée. Résumons : une personne adulée presque partout où il est passé provoque en France au mieux le scepticisme, au pire la critique gratuite. Le problème serait-il le fait qu'il soit étranger et qu'il ait des méthodes différentes ? Bel esprit d'ouverture de la part des spécialistes de la profession, surtout que deux autres confrères, l'un Portugais et l'autre Italien ont subi ou subissent le même traitement à leur arrivée.
Malgré tout ça, notre arrivant argentin réussit une entrée en matière quasi-parfaite après quelques petits accrocs au tout début, ce qui n'aura pas manqué de faire redoubler les critiques et d'attirer les vautours. Il parvient à faire briller des éléments que l'on pensait plus que moyen. Les méthodes de notre homme devraient alors susciter une adhésion ou du moins la reconnaissance d'une efficacité. Et pourtant, certains continuent à le critiquer, attendant patiemment de nouvelles déconvenues et affutant leurs lames pour pouvoir se faire le bonhomme. Lui continue à avancer, ne bronche pas, même quand les décisions lui sont injustement défavorables. Il remotive en permanence ses hommes, les réconforte quand ils se considèrent floués par des décisions arbitraires, il leur dit qu'il faut « avaler le venin » et continuer à travailler parce que cela seul paye. En somme il a toujours un comportement exemplaire, prend toutes les responsabilités des échecs sur sa personne pour protéger son groupe, le leader presque rêvé. En contrepartie il demande beaucoup de travail et d'engagement. Malheureusement, bientôt les résultats ne suivent plus. Alors tous les vautours sortent de leurs cachettes pour fustiger la méthode de cet homme, bien trop éloignée des méthodes franco-françaises. Des homologues l'accusent même de se moquer de la profession. Son groupe vole en éclat, certains ne veulent plus fournir d'efforts et sabotent les missions. Les Français sont donc contents, ils finiront par avoir la peau de ce trublion qui voulait modifier les méthodes habituelles. Le sérail ne l'a pas accepté, à quelques exceptions près. La France aurait-elle si peur du changement ?
Cette histoire, c'est l'histoire d'un homme surnommé le fou, El Loco plus précisément ; c'est celle de Marcelo Bielsa entraineur de l'OM qui partira sans doute à la fin de la saison parce qu'il n'aura pas été accepté : ni par les journalistes, ni par ses pairs, ni par ses joueurs (même si ceux-ci l'auront suivi un temps). Les seuls à l'avoir accueilli les bras grands ouverts et à le soutenir envers et contre tout sont les supporters marseillais. Est-ce une surprise quand on connaît la tradition de mixité et de changement de la ville rebelle et bravache qu'est Marseille ? Ce rejet quasi unanime de San Marcelo de Marseille ne nous dit-il pas beaucoup sur le repli actuel de la société française sur ses fondamentaux et son rejet de la nouveauté, fût-elle bénéfique à court, moyen ou long terme ?