La nouvelle politique économique argentine: aspects industriels et …

Le nouveau gouvernement est bien conscient que son opération de "sincérisation" ("sinceramiento" le mot à la mode en ce moment dans la presse argentine de droite) du taux de change est à haut risque et lance diverses opérations dont l'objectif est de créer de l'emploi productif et de relancer les exportations pour éviter de se trouver embarqué dans la funeste et bien connue spirale inflation-endettement.

Le nouveau gouvernement déploie donc sa stratégie de développement économique selon 3 axes:

a) l'investissement dans les infrastructures provinciales,

b) le comblement du déficit énergétique,

c) la création d'emplois privés (réputés productifs).

a) Macri a commencé par organiser une sorte de table ronde avec les gouverneurs des provinces (même Alicia Kirchner est venue à la réunion après quelques tergiversations) en promettant des crédits pour les travaux publics d'infrastructure. Mais le problème est que distribuer de l'argent pour lancer des projets locaux sans planification nationale d'ensemble des priorités débouchera sur l'habituelle entropie argentine en matière d'infrastructures, et sur des détournements massifs de fonds publics.

Car il faut savoir que les marchés publics de génie civil et de construction sont la plus juteuse source de pots-de-vin en tous genres, et que lorsque les gouverneurs entendent le mot magique de "obras publicas" ils le traduisent immédiatement en une occasion de se remplir les poches. Car l'organisation des appels d'offre (quand il y en a...) et la gestion subséquente des contrats permettent de huiler copieusement les rouages d'une corruption endémique et généralisée. Très peu de provinces ont mis en place une gestion raisonnablement efficace de ces grosses opérations: une personne qui fait du cadastrage et des relevés géodésiques dans toute l'Argentine m'expliquait récemment qu'à San Luis le montant total des bakchiches associés aux procédures d'appel d'offre de la province était plafonné à 6% du montant des marchés (ce qui selon les standards argentins est extrêmement faible). Le mécanisme est simple: lorsqu'ils remportent l'appel d'offre les entrepreneurs doivent déposer 6% du montant du marché à titre de garantie et ensuite "oublier" de réclamer la restitution de cette somme à la fin du contrat. Dans d'autres provinces, la facture monte beaucoup plus, à coups de pseudo-contrôles réglementaires qui font perdre des mois et des années dans la réalisation des projets et n'ont pour but que de permettre à de nombreux parasites de toucher leur commission pour tamponner un dossier et le transmettre au parasite suivant. Résultat: construire un kilomètre de route dans le Chubut coûte trois fois plus cher qu'à San Luis...

b) Pour réduire le coût de la facture de gaz (premier poste d'importation) le gouvernement vient de bénir un accord d'exploitation du gaz de schiste du Neuquen passé entre YPF et la multinationale américaine Dow Chemical (déjà partenaire d'YPF depuis plusieurs années) à hauteur de 500 MUSD dès 2016 soit un triplement du volume annuel d'investissement sur ce gisement pour atteindre une production de 2 Mm3/jour. L'investissement total devrait atteindre 2.5 milliards de $.

c) l'objectif affiché de Macri est d'éviter de créer des emplois publics (réputés "improductifs") pour développer l'emploi privé (réputé "productif").

De ce point de vue la dévaluation de 40% qui vient d'avoir lieu doit permettre de relancer l'investissement productif interne et externe en redonnant de la compétitivité à l'industrie argentine et en favorisant les exportations. Les problèmes à résoudre sont cependant nombreux. Le Brésil, premier client de l'Argentine, va rester en récession en 2016. Les problèmes logistiques qui handicapent structurellement l'activité industrielle et le développement des services (en particulier le coût très élevé du transport et la médiocre qualité des systèmes de télécommunication) demeurent. Les importations (payées en devises) de machines et de biens industriels intermédiaires nécessaires à la modernisation de la production se paieront au prix fort et il n'est pas sûr que la petite industrie privée obtienne des crédits bancaires à des taux viables tant que l'inflation n'aura pas baissé significativement (une des conséquences les plus néfastes de l'inflation très élevée depuis trois-quatre ans a été de geler les plans de développement de nombreuses PME parce que le niveau de l'inflation rendait difficile l'auto-financement du renouvellement des équipements productifs et que le crédit bancaire était prohibitif).

Enfin la conjoncture internationale (ralentissement économique généralisé, amorce de remontée des taux sur le dollar, chute des cours des matières premières) va continuer de fragiliser la situation du pays du fait de son positionnement très amont dans la division internationale du travail. De ce point de vue, Macri lance son programme néo-libéral au plus mauvais moment.

Ajoutons à celà que la dévaluation massive et la libéralisation totale de l'import-export va aussi avoir des effets socio-économiques dont le nouveau gouvernement ne semble pas mesurer totalement l'impact. Par exemple, elle va enrichir artificiellement les provinces pétrolières et agricoles (y compris à Santa Cruz, fief des Kirchners) et y encourager une culture de rente qui n'y est déjà que trop présente (dans la province de Santa Cruz le taux d'emploi public est de 47%...) alors que les classes moyennes de la province de Buenos Aires (tout récemment conquise par les macristes) vont subir de plein fouet l'effet des nouvelles mesures (hausses des prix dans les supermarchés, fin du "dolar tarjeta" et du tourisme à l'étranger financé à crédit, suppression des subventions au gaz et à l'électricité).

Plus globalement la polarisation entre l'Argentine des riches et l'Argentine des pauvres va encore s'accroître.

Bref, s'en remettre entièrement au marché et à la finance internationale pour relancer l"économie argentine semble un pari très risqué et porteur d'une aggravation rapide des tensions sociales.

L'expérience a montré que la classe moyenne portègne est le facteur décisif dans la politique argentine depuis le retour de la démocratie.

Si la classe moyenne qui l'a élu lâche Macri d'ici un ou deux ans, il n'aura plus qu'à monter précipitamment dans son hélicoptère comme son piteux prédécesseur De La Rua (Macri est a priori beaucoup plus habile mais la combinaison de la tentation caudilliste et du technocratisme libéral risque de l'emmener sur la même trajectoire).

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