Dangereux tango pour la dette argentine

Des investisseurs «vautours», un juge impitoyable, des matelots assiégés et une Grèce qui claque des dents : tels sont les ingrédients du grand mic-mac autour de la dette argentine, qu’a épaissi mardi le placement du pays en catégorie «spéculative» par l’agence de notation Fitch. Enjointe de régler sa dettes envers des investisseurs lésés, Buenos Aires est au bord du défaut de paiement. Une situation qui pourrait coûter cher à d’autres pays mal en point.

Pour comprendre la situation, il faut revenir en décembre 2001. En plein effondrement économique, l'Argentine voit ses rues se remplir et son président, Fernando de la Rúa, prendre la fuite par hélicoptère. Le 24 décembre, le gouvernement annonce la suspension du paiement de la dette extérieure et sa volonté de renégocier celle-ci auprès de ses créanciers. A l’issue de deux «rounds» de négociation, en 2005 puis en 2010, la plupart d’entre eux acceptent un rabot de 75% sur une dette totale de 75 milliards d'euros, du jamais-vu à l'époque. Depuis, l'Argentine a vu sa situation économique se redresser.

Un navire en otage

Fin des problèmes ? Voire. Car plusieurs fonds d’investissement américains refusent l’arrangement et attaquent le pays auprès de la justice américaine. Laquelle, dans une décision rendue mercredi dernier, estime que «l’Argentine doit verser aux requérants 100% des 1,33 milliard de dollars [775 millions d'euros, ndlr] dus en même temps ou avant de rembourser les titres restructurés». «Ce n’est pas vraiment une injustice que d’avoir des décisions de justice obligeant enfin l’Argentine à payer ce qu’elle doit», commente alors le juge new-yorkais Thomas Griesa, à l’origine de la décision.

La tension est telle entre le pays et les plaignants que l’un d’entre eux, NML Capital, qui revendique 283 millions d’euros de créances, a fait saisir la frégate argentine Libertad, stationnée dans le port ghanéen de Tema. Près de 300 marins ont dû être rapatriés par avion. Les quarante-cinq restant, retenus sur place depuis début octobre, ont brandi des armes à feu face aux autorités locales venues déplacer le navire vers un autre emplacement du port.

«Les fonds "vautours" ont fait le choix de refuser l'échange et d’entamer une procédure judiciaire très longue et très coûteuse, explique Sébastien Thénard, gérant chez Natixis. Ils pensent y trouver un intérêt financier, mais également une visibilité supplémentaire auprès de clients potentiels. Il n’y a pas beaucoup de fonds capables de mobiliser autant d'énergie pour ce genre de procédure contre un Etat. Pourtant, les choses ne se sont pas trop mal passées pour les investisseurs ayant accepté la restructuration, qui ont fini par récupérer plus que ce à quoi ils s’attendaient.»

Imbroglio complet

La situation du Libertad a déclenché un élan de solidarité nationale en Argentine, où le gouvernement fustige les fonds d’investissement «vautours». L’Argentine, qui a fait appel de la décision de la justice américaine, se dit prête à payer les investisseurs ayant accepté la restructuration, mais pas les plaignants. Déjà sensé régler quelque 3 milliards de dollars aux premiers cités le 15 décembre, le pays ne devrait donc pas ajouter à cette somme les 1,3 milliard réclamés par les seconds.

Une position qui a incité l’agence de notation Fitch à dégrader de cinq crans d’un coup la note du pays. «Un seul paiement manqué pourrait déclencher une cascade de défauts de paiement sur tous les titres dette émis sous le régime du droit international», estime l’agence, pour qui le défaut est une «issue probable». Il reviendrait dans ce cas à la banque new-yorkaise Mellon, qui réalise les paiements aux détenteurs de dette renégociée, de payer les fonds spéculatifs plaignants, estime le juge Griesa dans sa décision. Une contrainte contestée par l'établissement en question. L’imbroglio est donc à son comble. Et ses possibles conséquences explosives.

«Pas de comparaison possible» avec la Grèce

La première conséquence concerne naturellement l'Argentine, qui, si elle est défaite en justice, pourrait voir se retourner contre elle des créanciers ayant accepté le précédent arrangement, mais exigeant désormais un remboursement complet. Pas de risque, cependant, de voir ses taux d'emprunt s'envoler sur les marchés : le pays en est de toute façon coupé depuis ses déboires de 2001. Mais le problème dépasse le seul cas argentin. Quel intérêt pour un créancier, en effet, d’accepter une restructuration si ceux qui la refusent finissent par obtenir un remboursement complet ?

La question vaut aussi pour la Grèce, qui, en mars 2012, a obtenu l’effacement de plus de 70% de sa dette auprès du secteur financier. Or, si les participants volontaires à cet accord représentent plus de 80% de la somme, ce taux chute à 69% parmi les détenteurs d’obligations grecques acquises sous droit étranger, susceptibles d’attaquer dans les juridictions concernées.

«Il n’y a pas de comparaison possible avec la dette de la Grèce ou d’autre pays en difficulté, estime pourtant Sébastien Thénard. D’abord, il s’agit essentiellement, dans ces cas-là, d’une dette locale. Ensuite, depuis le cas argentin, on a généralisé les clauses d’action collectives, qui, lorsqu’un certain pourcentage de créanciers acceptent une restructuration, imposent cette solution à l’ensemble d’entre eux.» Ces clauses ont effectivement été activées par le gouvernement grec peu avant la décote de mars, rendant peu probable toute reproduction du scénario argentin.

«Cette affaire argentine révèle surtout que, en cas de restructuration, il faut agir vite et efficacement, poursuit Sébastien Thénard. Sinon, créanciers comme débiteurs sont financièrement impactés.» Reste à voir qui, de Buenos Aires, de sa banque ou des fonds «vautours», y sera le plus de sa poche. 

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