Un homme passe devant des affiches fixées à l'entrée du ministère de l'Économie en Argentine. On peut y lire : « Ensemble, nous allons lutter contre ces vautours usuriers ».
Photo : PC/Victor R. Caivano
Il n'y a finalement pas eu d'accord entre l'Argentine et les fonds « vautours », ce qui place le pays en défaut de paiement. Décryptage.
Selon une décision rendue le 23 juillet par un tribunal de New York, l'Argentine avait jusqu'au 30 juillet, minuit, pour s'entendre avec deux fonds spéculatifs à qui elle doit 1,5 milliard de dollars. L'Argentine était sommée de régler cette somme avant de payer ses autres créanciers avec qui elle a, par le passé, négocié une réduction de sa dette.
Comment cette histoire a-t-elle commencé? Quelles pourraient être les conséquences pour l'Argentine? Pour tenter d'y voir plus clair, nous avons posé ces questions à Victor Armony, Argentin d'origine et professeur de sociologie à l'UQAM.
1. À qui l'Argentine doit-elle de l'argent?
Ce sont des titres de dette qui sont détenus par des investisseurs privés, des fonds d'investissement et aussi des gouvernements : c'est assez varié.
Mais le problème actuel concerne surtout deux fonds étasuniens qui ont acheté des titres de dettes dans un but de spéculation. C'est un peu là que réside le problème, parce qu'ils veulent un remboursement à 100 % de ces titres.
2. Quelle est l'origine de ces dettes?
En 2001, l'Argentine a vécu une crise sociale, économique et politique. Le pays est alors tombé en cessation de paiement totale et complète. Cela a eu des conséquences néfastes sur le plan social et économique.
Quelques années plus tard, l'Argentine a réussi à négocier une réduction dans la valeur des bons avec la majorité des détenteurs de titres de dette. Un peu comme lors d'une faillite, le pays a renégocié avec les créanciers, et a accordé un remboursement à 30 % à 50 % de la valeur nominale. Par exemple, c'est comme si quelqu'un vous devait 1 million de dollars, mais qu'il vous en payait 300 000 $.
La majorité des détenteurs de titres ont accepté ces propositions, et cela semblait avoir réglé la majorité du problème de la dette argentine. Par contre, il y a ce qu'on appelle en anglais les « holdouts », soit les détenteurs qui ne sont pas entrés dans les négociations.
Ces derniers ont ensuite vendu leurs titres à des fonds spéculatifs américains qui sont très patients, qui ont beaucoup d'argent, et qui ont d'excellents avocats. Ils ont mené une bataille juridique pendant des années. Et maintenant, un juge new-yorkais a statué que ces détenteurs doivent effectivement être remboursés à 100 %, ce qui crée énormément de problèmes.
Un de ces problèmes est qu'il existe une clause pour les fonds qui ont accepté la réduction. Elle stipule que si le gouvernement argentin paie plus à un créancier, il doit rembourser tous les autres.
C'est la crainte principale de l'Argentine. Si un tel processus était déclenché, il représenterait vraiment beaucoup de milliards de dollars, et l'Argentine n'est plus capable d'y faire face. Elle peut avoir les ressources pour faire face aux « holdouts », mais pas pour faire face à tous les créanciers. Cette idée cause la panique.
Le ministre argentin de l'Économie, Axel Kicillof (gauche), arrive à New York le 29 juillet pour les dernières heures des négociations visant à éviter le défaut de paiement.
Photo : PC/CP/Kathy Willens
3. Quelles peuvent être les conséquences d'un défaut de paiement pour le pays?
L'Argentine se trouve déjà dans une situation de début de récession et d'inflation. Il est certain que dans ce contexte, cela va empirer les choses. Ceci dit, ce n'est pas non plus la catastrophe, parce que l'Argentine est un peu isolée par rapport aux marchés financiers internationaux depuis 2001.
L'impact sera moindre que si elle était bien intégrée à ces marchés : ce serait dans ce cas une secousse immense. Mais d'un autre côté, cela pose aussi des problèmes pour une possible sortie de la récession.
En Argentine, certains dans l'opposition annoncent l'apocalypse, d'autres disent que ce ne sera pas si grave, qu'on va s'en sortir. Je pense que ce sera un peu entre les deux. Ce ne sera pas la catastrophe comme en 2001, mais évidemment, cette situation va rendre la vie des Argentins et du gouvernement (des élections présidentielles se tiendront en 2015) beaucoup plus difficile.
4. Y a-t-il d'autres exemples semblables dans le monde?
On a fait des parallèles entre la situation récente en Grèce et celle de l'Argentine en 2001. Oui, il y en a certains à faire, par contre chaque pays et chaque continent ont une situation différente.
Mais la situation de l'Argentine est assez particulière puisque si ce défaut technique se concrétisait, ce serait le deuxième en 13 ans. Déjà, celui de 2001 était le plus important de l'histoire moderne.
La présidente argentine avec en arrière-plan la carte de l'archipel des Malouines aux couleurs de l'Argentine.
Photo : AFP/JUAN MABROMATA
5. Que pensent les Argentins de la situation actuelle?
Il y a une fracture très claire entre ceux qui adhèrent au projet de gauche et nationaliste du gouvernent Kirchner, qui voient dans tout ça une espèce de bataille contre l'empire, contre les États-Unis, contre le capitalisme, contre le néo-libéralisme globalisé. Le gouvernement a beaucoup joué aussi cette carte plutôt idéologique, et parfois même émotive.
Par contre, ceux qui sont dans l'opposition et qui n'adhèrent pas à ce gouvernement ou à ce type d'idéologie voient dans toutes ces histoires une Argentine qui, encore une fois, n'est pas capable de tenir ses promesses et d'assumer ses responsabilités.
Mais nous ne sommes pas du tout aujourd'hui dans une situation d'effondrement comme celle vécue en 2001, où l'on avait le sentiment que le pays lui-même était littéralement en faillite, qu'il n'y avait plus de gouvernement qui était capable de l'en sortir.
Les Argentins, et même l'opposition, ont tout de même l'image d'un gouvernement actif, qui garde malgré tout le contrôle de la situation. Il n'y a pas de démissions, comme c'était le cas en 2001. Le gouvernement est en place, et le sera jusqu'aux élections l'année prochaine.
L'Argentine a souvent vécu ce cycle d'expansion et de chute au fil de son histoire du 20e siècle. Si vous parlez avec des Argentins, comme moi, nous avons toujours ce sentiment de revenir à la case départ après 10 ans. Il y a presque un mythe du retour.
On sait qu'après 10 ans, tout projet politique ou économique en Argentine éclate ou s'étiole, et on recommence. On a ce sentiment d'avoir déjà vu le film.