Première promesse tenue. Les traits tirés, sans doute d’avoir trop fêté sa victoire la veille (à moins que ce ne soit d’avoir réalisé la tâche qui l’attend !), Mauricio Macri a reçu les médias lundi matin. Cette conférence de presse est un symbole fort. Tout au long de sa campagne, le candidat avait répété qu’il répondrait aux questions des journalistes, contrairement à Cristina Kirchner, célèbre pour ses innombrables et interminables discours télévisés, mais qui ne dialoguait pas avec la presse.
Avec Mauricio Macri à sa tête, c’est donc un changement de style que va connaître l’Argentine. Mais l’ex-président du club de foot Boca Juniors, qui a le soutien du monde des affaires, a aussi annoncé des réformes en profondeur. Une nouvelle donne que la communauté française (environ 14.500 personnes inscrites au Consulat et une moyenne d’âge de 32 ans) accueille positivement, même si chacun sait que l’économie du pays ne va pas repartir du jour au lendemain.
Le dollar à nouveau en libre-accès
L’une des premières mesures de Mauricio Macri, qui prendra ses fonctions le 10 décembre, sera la levée du contrôle des changes. Instaurées progressivement à partir de 2011, des règles limitent en effet l’accès au dollar afin de lutter contre l’inflation et la fuite des capitaux - du moins, en théorie. Du coup, un marché noir a vu le jour. Un dollar s’y échange contre 15 pesos alors qu’officiellement, il vaut 9,6 pesos.
“Pour moi qui touche un salaire en pesos, c’est très compliqué", raconte Anaïs Gasset, 31 ans, propriétaire de Cocu, une boulangerie française à Buenos Aires. "Pour avoir le droit d’acheter des dollars pour économiser ou voyager, je dois prouver que je gagne plus d’un certain seuil. Or je ne l’atteins pas. Je suis donc obligée de changer au marché noir à un taux qui ne m’avantage pas”, se désole la jeune expatriée.
La réforme est également très attendue par les quelque 250 entreprises françaises installées en Argentine (pas mal de PME mais aussi des grands groupes comme Danone, Carrefour, Total, Sanofi…) qui, pour l’instant, ne peuvent pas rapatrier leurs bénéfices à leur maison-mère.
Le risque de dévaluation
Mauricio Macri n’a pas précisé quand cette mesure entrera en vigueur, ni si elle sera totale ou graduelle. Il a toutefois indiqué que la Banque centrale continuera d’intervenir “quand ce sera nécessaire”, sans doute pour limiter une dévaluation que les économistes jugent inévitable.
Une perspective qui inquiète car une dévaluation devrait s’accompagner d’une augmentation des prix. L’inflation dépasse déjà les 25% par an ! Anaïs Gasset, qui a ouvert Cocu fin 2012, après avoir travaillé en Thaïlande et à Dubaï, n’est pas préoccupée car elle a appris à jongler avec cette variable économique. “On répercute la hausse des prix sur nos produits tous les trois-quatre mois en moyenne. Tous nos concurrents font pareil. Les Argentins l’acceptent. Ils ont l’habitude”. A condition bien sûr que les salaires continuent d’augmenter…
Un pays plus ouvert
Cette inéluctable dévaluation ravit, en revanche, les exportateurs. “Cela nous permettrait d’ajuster les prix de nos vins pour être plus compétitifs”, explique Ronan Guevel, 43 ans, associé fondateur de la Bodega Marco Zunino. “D’autant que la qualité des vins argentins est aujourd’hui reconnue partout dans le monde”, souligne ce Breton qui a rejoint l'Argentine en 2009 après avoir travaillé en France dans l’entreprise de distribution de boissons fondée par son grand-père.
Il y a donc des marchés à conquérir et le secteur vinicole, dans lequel les Français sont très présents (Chandon, Pernod-Ricard…), pourrait repartir après trois années difficiles. Selon l’Observatoire vitivinicole argentin, en 2014, les exportations ont chuté de près de 17% en volume et de 4,5% en valeur par rapport à 2013.
La fin des obstacles aux importations
Mauricio Macri devrait également supprimer les mesures protectionnistes mises en place par Cristina Kirchner, ce qui devrait faire les affaires des grandes entreprises françaises installées en Argentine, dans le secteur automobile notamment (Faurecia, Renault, PSA), qui ont souvent du mal à faire entrer les machines, les véhicules et les pièces dont elles ont besoin.
A son niveau, le studio créatif Tango+Tango connaît le même problème avec ses clients étrangers. “A plusieurs reprises, le produit qu’on devait filmer est resté bloqué à la douane. On a dû faire de nombreuses démarches administratives, payer des frais supplémentaires et parfois, on n’a pas réussi à récupérer le colis”, raconte Sébastien Plassiard, 29 ans, directeur artistique.
Pour Ronan Guevel, l’entrepreneur dans le vin, cette ouverture du pays devrait également “dynamiser le marché intérieur, faire baisser les prix et casser les monopoles”. Et de citer comme exemple le fait qu’il n’y ait aujourd’hui qu’un seul fabricant de bouteilles dans le pays “qui fixe lui-même les prix et dont le catalogue a été réduit de moitié en trois ans”.
Des réformes pas faciles à mettre en oeuvre
Reste que pour pouvoir soutenir le cours du peso et éviter que le pays ne plonge dans la récession, la Banque centrale doit en avoir les moyens. Officiellement, elle a dans ses caisses 25,9 milliards de dollars contre 52 milliards en 2011. Mais depuis des années, le gouvernement manipule les statistiques. Cela a commencé par l’inflation. Depuis 2007, le taux fourni par l’Institut national, l’Indec, fait doucement rire. Quant aux chiffres de la pauvreté, ils ne sont tout simplement plus publiés depuis deux ans ! “Compter les pauvres, c’est les stigmatiser”, s’est justifié le ministre de l’Economie.
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Mauricio Macri a donc ordonné un audit des comptes publics et en fonction des résultats, il lancera son plan de réformes. Il lui faudra obtenir l’aval des députés et des sénateurs. Faute de majorité dans les deux chambres, il devra se trouver des alliés et prouver que la coalition, allant de la droite conservatrice au centre-gauche, qui l’a porté au pouvoir, n’était pas qu’une alliance de circonstances.
Martín Rapetti, professeur d’économie à l’Université de Buenos Aires, prévoit une année 2016 "très dure". ”Des ajustements économiques sont inévitables et les syndicats vont se battre pour protéger le pouvoir d’achat des salariés. L’Argentine s’apprête à vivre une période conflictuelle”.
Dans l’attente de la mise en place de ces mesures et de la réaction des marchés, nul ne sait si ces nouvelles perspectives se traduiront par des embauches ou par l’installation d’entreprises françaises en Argentine. Au cours de ces dernières années, Suez, la Société Générale et France Telecom notamment ont quitté le pays. Aujourd’hui, les entrepreneurs réclament surtout un climat des affaires apaisé et des règles du jeu stables. Un message que Mauricio Macri, lui-même ancien chef d’entreprises, semble avoir entendu.
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