Quand l’Espagne s’acoquinait avec la dictature argentine de Videla

C'est une information qui nous provient de Publico, et qui ne semble pas trouver beaucoup d'écho en France. Le site d’information espagnol vient de mettre la main sur des archives secrètes du gouvernement espagnol, révélant les relations étroites qu’entretenaient notre cher voisin et la dictature argentine de Videla, dans les années 1970. Et c’est un véritable feuilleton à scandales que le site a publié, épisode après épisode. Des révélations qui ont de quoi choquer, tant l’image de l’Espagne post-franquiste ne souffrait (quasiment) d’aucun défaut, les récentes frasques royales mises à part.
 
« Qui fut complice de la dictature en Argentine ? », demandait-on ici même à Marianne, en mars 2013. Personne ne s'attendait à ce que la réponse soit : l'Espagne. Eh bien, c’est ce cher Juan Carlos que l’on retrouve, dans des documents signés par le roi lui-même, avec des banquiers espagnols, les principaux fonctionnaires du gouvernement Suarez (Premier ministre espagnol de 1976 à 1981) et le gouvernement argentin.

L’Argentine de Videla, pour rappel, c’est cette « guerre sale » et ses milliers de disparus, de torturés, de morts. Les révélations de Publico remontent le temps pour nous ramener en mai 1976, alors que la dictature n’a que deux mois. Videla se rend compte qu’il a déjà dépensé 70 % du budget annuel de l’Argentine, presque uniquement en répression policière et militaire. Quatre cents millions de dollars rien que pour cette année-là. La terreur, ça a un coût ! Alors, quand le dictateur a besoin d’aides financières, il frappe à la porte de la jeune démocratie espagnole.
 
Des relations commerciales...
 
Les deux pays prennent très exactement des chemins opposés à cette époque. L’Espagne vient d’enterrer Franco et (re)découvre les joies de la démocratie. L’Argentine, elle, sombre dans la dictature militaire et meurtrière. Pourtant, sur le plan économique, les deux gouvernements vont se découvrir être de grands alliés. Publico révèle que le 1 juillet 1976, le roi Juan Carlos recevait dans son bureau l’ambassadeur de Videla en Espagne, le général Leandro Enrique Anaya. Juan Carlos lui annonce la venue prochaine du ministre de l’Économie espagnol en Argentine, avec la ferme intention de tout mettre en œuvre pour palier aux problèmes économiques de la dictature, banquiers, investisseurs et industriels dans les valises.
 
Dans les jours qui suivent, le commerce de viandes entre les deux pays est renégocié (il était gelé depuis 1970) et Videla fait rentrer 3,8 millions de dollars dans les caisses de l’État, rien qu'avec ça. À partir de là, toutes les portes des ministères, des banques (notamment le bureau de Botin, patron de la banque Santander), des investisseurs en tous genres, sont grandes ouvertes à l'exécutif argentin. Exemple de l'orgie politico-financière : le 22 juillet 1976, le ministre de l’Économie argentin Martinez de Hoz organise en Espagne un repas où sont présentes 64 personnalités espagnoles dont les ministres du Commerce, de l’Industrie et du Logement, ainsi que les présidents des principales banques et entreprises ibériques. Tout ce beau monde est réuni pour parler des « relations entre l’Espagne et l’Argentine », voilà tout ce qui est mentionné. Ensuite, le 1 décembre, de Hoz et son homologue espagnol José Lladó se rencontreront secrètement en Argentine. Ils signeront un document où l’Espagne s’engage à vendre de nombreux biens, principalement du matériel naval et ferroviaire, pour une valeur de 290 millions de dollars. Un crédit de 50 millions de dollars est également accordé à la dictature afin que celle-ci « développe son industrie nautique ». Gageons que cela a dû aider à détendre les relations anglo-argentines pendant la guerre des Malouines...
 
De nombreux autres documents « confidentiels » ont été signés entre les deux pays, faisant croître les échanges commerciaux à un rythme annuel de 23,8 %, jusqu’en 1983 et la chute du régime militaire. Un commerce prolifique, toujours sous l’aval du gouvernement d’Adolfo Suarez, l’homme de la transition démocratique, presque canonisé par le roi à sa mort en mars dernier. Et pendant que la dictature prospérait et entrait dans l’histoire en faisant disparaître plus de 30 000 Argentins, pour la plupart enlevés, torturés puis tués, Videla recevait de Juan Carlos toutes les décorations prestigieuses et l’Espagne s’arrangeait pour que l’Argentine soit présente aux grandes réunions internationales, telles que la Commission des droits de l’homme du Conseil économique et social des Nations unies.

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