Alice Domon (DR)
Nous avons une pensée pour toi, Alice, qui fus victime d'affreux barbares, comme le fut également ta payse, Léonie, alors que s'est ouvert le "méga-procès" des "vols de la mort" à Buenos Aires, le 28 novembre dernier. Ce procès vise 12 cadres de l'abominable Ecole Supérieure des mécaniciens de la Marine Argentine (ESMA), déjà condamnés à perpétuité, dont le fameux Astiz, et 68 co-inculpés, accusés de la mort de 789 personnes.
Alice, toi qui entres, en 1957, à l'institut des missions étrangères de Muret, et deviens sœur Marie-Catherine, alias Cathy, pour être à l'écoute des autres et les aider.
Toi qui en 1966, reçois ta nomination pour l'Argentine où tu aimes bien courir dans les quartiers pauvres, où les gens sont sur le pas de la porte et disposent toujours d'un moment pour causer, dis-tu.
Toi qui, avec une de tes compagnes, vis au milieu des pauvres dans la villa Lugano, un bidonville dans la banlieue de Buenos Aires, partages leur vie, es admirative devant leur courage, qui font face à leurs difficultés, à la souffrance souvent. Toi qui te bats déjà pour obtenir les droits de l'homme pour tous.
Toi qui n'hésites pas à rejoindre le monde rural, à proximité de Perrugoria, dans la province de Corrientes, où le paysan est considéré comme un vilain. "Nous sommes dans un système féodal ou à peu près, où le propriétaire de la terre a droit à la récolte, et aussi à la femme et aux filles du paysan quand il en a envie", écris-tu à ta copine, Monique.
Toi qui t'engages, et d'autres compagnes également, aux côtés de ce monde exploité, pour l' aider à lutter contre les injustices et les humiliations, à s'organiser en ligues agraires, ce qui fait peur au gouvernement et entraîne la répression et les disparitions.
Toi, et plusieurs de tes compagnes, qui refusez d'obéir aux injonctions de vos supérieur(e)s qui vous demandent de faire "votre travail de religieuse et uniquement cela...", alors que vous êtes venues en Argentine pour partager la vie des gens et les soutenir, partager la vie de tous, y compris et surtout des pauvres, des malades, des délaissés, des exploités, des persécutés.
Toi qui, en 1975, est désignée par tes collègues pour représenter l'Argentine au chapitre de ton institut, à Muret, en France et qui, à cette occasion, décide, ainsi que 12 de tes compagnes, de rompre les liens qui te lient à l'institut, afin de n'être plus protégée par ton statut de religieuse, afin d'être reconnue comme tout un chacun , tout en restant néanmoins fidèle à ta foi.
Toi qui, lors du même séjour, à Charquemont, fais part de ta nouvelle situation à Monique et lui dis que c'est certainement la dernière fois que vous vous voyez... car tu as pris la décision de retourner à Buenos Aires, tout en sachant les difficultés que tu vas rencontrer et certainement plus, vu que tu as quitté l'institut.
Toi qui, à ton retour en Argentine, rejoins les paysans de la région de Perrugoria où les conditions sont de plus en plus difficiles, où la répression s'est amplifiée, où les disparitions se multiplient et t'obligent à regagner la capitale où tu vas aider à la recherche des disparus.
Toi qui, à Buenos Aires, loges chez les uns et les autres, chez Léonie en particulier, travailles sur le problème des prostituées et de la prostitution en général, t'engages dans le mouvement œcuménique pour les droits de l'homme et auprès des Mères de la place de mai, d'autant plus que la dictature est de plus en plus dure et que les disparitions se comptent par milliers.
Toi qui es enlevée, avec douze autres personnes, à la sortie de l'église de Santa Cruz, le 8 décembre 1977.
Toi qu'on ne verra plus, sinon sur les écrans de toutes les TV du monde et dans tous les journaux, sur une photo mensongère, certainement truquée, à côté de Léonie kidnappée, elle, deux jours plus tard, le 10 décembre, toutes les deux le visage marqué par la souffrance et très certainement par la torture.
Toi, dont on n'a toujours pas retrouvé le corps, qui est, peut-être, aujourd'hui, sédiments parmi les sédiments au fond du Rio de la Plata ou de l'océan, ou fait partie des nombreux cadavres marqués du sceau de la torture, retrouvés sur le littoral uruguayen, et dont on apprend, aujourd'hui seulement, l'existence.
Alors oui, Alice, ce 8 décembre 2012, notre pensée va vers toi. Tu es une Grande Dame, un exemple de vie toute consacrée aux autres, un défenseur extraordinaire des droits de l'homme, ce que rappelle la belle plaque qui t'honore depuis quelques mois seulement, place de l'Hôtel de ville, à Charquemont.
Bravo Alice ! Mille fois bravo !
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Sur la photo de une apparaissent Gabrielle et Annie Domon, les deux sœurs d'Alice Domon, venues témoigner au procès d'Alfredo Astiz, le 15 avril 2010 à Buenos Aires (crédits : R.ANDRADE/SIPA).
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