Présidentielle argentine: la mémoire dans les urnes

A quelques jours du deuxième tour de l’élection présidentielle en Argentine, plusieurs organisations des droits de l’homme, dont les Mères et les Grands-mères de la Place de Mai, ont appelé la population à mettre la « mémoire dans les urnes » ce dimanche 22 novembre. Dans un pays encore traumatisé par le souvenir de la dictature militaire (1976-1983), elles estiment que la victoire du candidat Mauricio Macri (PRO) constitue un retour en arrière dans le processus de mémoire, vérité et justice du pays.

Photo : Manifestation de l’organisation H.I.J.O.S contre les criminels de la dictature, en mai 2015 à Buenos AiresPhoto : Manifestation de l’organisation H.I.J.O.S contre les criminels de la dictature, en mai 2015 à Buenos Aires © Louise Michel d'Annoville

Les Argentins sont appelés aux urnes dimanche 22 novembre pour le deuxième tour de l’élection présidentielle qui oppose Daniel Scioli, le candidat du Front pour la victoire (FPV) et dauphin de la présidente sortante Cristina Kirchner, à Mauricio Macri (PRO), l’actuel maire de Buenos Aires.

« Une responsabilité historique »

Quarante ans après le dernier coup d’Etat militaire, plusieurs organisations de défense des droits humains appellent la population à faire le choix de la mémoire pour ce scrutin. C’est le cas des Mères et les Grands-mères de la Place de Mai qui se battent pour rendre justice à leurs proches disparus pendant la dictature et retrouver la trace des 500 bébés volés et appropriés illégalement par les militaires et leurs complices. « Dimanche, nous avons la responsabilité historique de choisir entre deux projets: celui de l’exclusion ou celui de l’inclusion » ont-elles affirmé conjointement à deux autres organisations, H.I.J.O.S et « Familiares », dans un communiqué de presse diffusé mercredi 18 septembre. « Dans ce projet d’inclusion, nous voulons poursuivre les procès contre les génocidaires, retrouver les corps de nos proches, et la restitution des 400 petits-enfants qui ne connaissent toujours pas leur véritable identité » ont-elles rappelé tout en invitant les électeurs à voter pour le candidat Daniel Scioli.

Arrivé de justesse devant son opposant au premier tour du scrutin, le 25 octobre dernier, Daniel Scioli a rappelé pendant la campagne électorale l’importance de poursuivre les politiques en matière de justice et de droits humains : « Pour chaque personne qui niera le passé, les Grands-mères retrouveront un autre petit-enfant » a-t-il affirmé faisant ainsi référence au combat des Grands-mères de la Place de Mai.

L’ère Kirchner marquée par sa politique des droits de l’homme

Pour la plupart des organisations des droits de l’homme proches du gouvernement, la victoire du candidat Maurico Macri signerait l’arrêt des procès contre les criminels de la dictature et plus généralement la fin de la politique des droits de l’homme pour la « mémoire, justice et vérité » incarnée par le couple Kirchner depuis douze ans. Elu en 2003, l’ancien président Nestor Kirchner a placé la lutte contre l’impunité au cœur de son programme. Peu après son accession au pouvoir, le Parlement a voté l’abolition des lois d’amnistie contre les tortionnaires de la dictature - les lois du « Point final » et celle du « Devoir d'obéissance » - qui ont ensuite été rendues inconstitutionnelles par la Cour Suprême. Le 24 mars 2004, Nestor Kirchner avait fait décrocher les portraits des dictateurs Jorge Videlaet Reynaldo Benito Bignone du Collège militaire, un symbole fort encore gravé dans les mémoires.

Ce combat pour les droits de l’homme a également été le cheval de bataille de son épouse Cristina Kirchner - élue à la tête de l’Etat en 2011 – qui durant ses deux mandats a soutenu la lutte des Mères, des Grands-mères de la Place de Mai mais aussi de l’organisation politique H.I.J.O.S, « enfants » en espagnol et abréviation « d’Enfants pour l’identité et la justice et contre l’oubli et le silence ». Les membres  s’activent depuis 1995 pour conserver la mémoire de leurs parents, frères et soeurs disparus et condamner socialement les bourreaux de la dictature encore en liberté en se rendant jusqu’à leur domicile selon la technique de l’ « escrache ».

Le lourd héritage de la dictature en Argentine

En Argentine, les traces de la dictature sont encore omniprésentes dans la société. Des procès contre les répresseurs sont en cours et des milliers de familles cherchent désespérément les corps de leurs proches faisant partie de la longue liste des 30 000 desaparecidos, grâce à l’aide de l’équipe argentine d'anthropologie médico-légale. Après 38 ans de recherches, les Grands-mères ont quant à elles réussi à retrouver la trace de 118 petits-enfants kidnappés et poursuivent aujourd’hui leur travail pour identifier ceux qui manquent à l’appel.

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