Pourquoi les sélectionneurs argentins règnent sur l’Amérique

Ils étaient quatre en demi-finale de la Copa America cette année. Une domination qui vient de loin...

Quel que soit le résultat de la finale de la Copa America, il lèvera le trophée sud-américain. On le sait d'ailleurs depuis le terme des quarts de finale. Pas question de compétition pipée ici, mais du sélectionneur argentin, dont quatre spécimens trustaient les bancs de touche lors des demi-finales. L'émacié, Ricardo Gareca (Pérou), le hâlé, Ramon Diaz (Paraguay), tous deux désormais éliminés, le trapu, Jorge Sampaoli (Chili), et le bedonnant, Gerardo Martino (Argentine). Ces deux derniers en découdront, samedi 4 juillet, en finale, un stade de la compétition déjà fréquenté par Martino lors de la dernière Copa America (2011), quand il se trouvait à la la tête du Paraguay.

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Au Chili, ils étaient six sélectionneurs argentins sur la ligne de départ, qui n'ont déploré qu'une «perte» avant les quarts de finale, celle de Gustavo Quinteros, qui dirigeait l'Équateur. Devenus majoritaires dans la compétition dès le terme de la phase de poule, ils se sont depuis éliminés entre eux. En quarts, l'Argentine de Gerardo Martino a ainsi pris le dessus sur la Colombie de José Pékerman, l'homme qui a redonné tout son éclat au football cafetero en le reprenant en mains en cours d'éliminatoires du Mondial 2014.

Les précurseurs Bielsa et Menotti

Voir quatre sélectionneurs de la même nationalité en découdre en demi-finale ne peut que marquer les esprits, mais que l'Argentine domine les bancs de touche sud-américains n'a toutefois rien d'un phénomène récent. Car, en Amérique du sud, et plus largement, en Amérique latine, on fait appel à l'entraîneur argentin, un peu comme une démocratie naissante sollicite des experts européens pour consolider ses bases et se développer. Le Chili l'a fait avec Bielsa, et mise désormais sur son hériter Sampaoli. Le Mexique, quant à lui, n'a plus jamais été le même après le court passage de César Luis Menotti à sa tête au début des années 1990: avec l'Allemagne et le Brésil, il est le seul pays à s'être systématiquement qualifié depuis pour les huitièmes de finale du Mondial.

Pour le Paraguay, le souvenir est plus récent. Avec Martino à leur tête, outre la finale de la Copa América 2011, les guaranis se sont hissés en quarts du Mondial 2010, le meilleur résultat de leur histoire. Enfin, même la Colombie de Pacho Maturana, qui devait «jouer comme elle vivait», maxime de l'ex-charismatique sélectionneur, doit un certains sens de la discipline et du professionalisme aux leçons reçues du maître argentin, Osvaldo Zubeldia, qui entraîna l'Atlético Nacional quand Maturana était un joueur en fin de carrière.

On fait appel à l'entraîneur argentin un peu comme
une démocratie naissante sollicite des experts européens pour consolider ses bases et se développer

Comme le dit Jorge Valdano, champion du monde 1986 et écrivain, l'Argentine entretient «une relation exagéré avec le football». Une passion qui transpire chez ses joueurs comme chez ses entraîneurs. 

«La grande vertu de l'entraîneur argentin est de transmettre une mentalité de gagneur, faire que tes joueurs donnent tout pour leur maillot. On l'a bien vu avec Ricardo Gareca qui a transformé le Pérou en quelques mois», estime Ruben Omar Romano, entraîneur argentin des Xolos Tijuana, au Mexique. 

Romano est l'un des disciples de Ricardo La Volpe, cet ex-sélectionneur du Mexique (2002-2006) admiré par Pep Guardiola, et dont les méthodes influencent encore aujourd'hui près de la moitié des coachs de première division mexicaine.

La Volpe comme Bielsa, ou Osvaldo Zubeldia, avant eux, figurent l'entraîneur argentin stakhanoviste, pouvant faire répéter jusque épuisement le moindre mouvement à leurs joueurs. Un perfectionnisme sans borne qui fait écho à l'importance sociale du football en Argentine, pays jeune qui côtoie l'élite du football depuis les années 1920 (quatre Copa América, finale des Jeux olympiques 1928).

Zubeldia, le grand théoricien

Grand théoricien du football, Osvaldo Zubeldia a fait des Estudiantes la Plata, petit club vivant dans l'ombre des géants de Buenos Aires (Boca, River, San Lorenzo …), un triple champion de la Copa Libertadores (1968, 1969, 1970). Il avait aussi remporté la Coupe intercontinentale face à Manchester United en 1968. Dans un football qui faisait encore confiance au talent, Zubeldia préférait le travail: répétition des coups de pied arrêtés, chorégraphies huilées pour tendre le piège du hors-jeu et multiplication des mises au vert. 

Aussi, cet entraîneur avant-gardiste attachait une immense importance à l'étude de l'adversaire, même s'il devait faire avec les moyens du bord. Ainsi, avant sa finale de Coupe intercontinentale face aux Red Devils, il avait demandé à un photographe de prendre des clichés de chaque Mancunien pour que ses joueurs mémorisent leurs visages. On est loin des dizaines de matches vus par Marcelo Bielsa pour n'en préparer qu'un seul, mais on reste dans le même souci de ne négliger aucun détail.

L'influence des Estudiantes sur l'évolution du football argentin et la manière de travailler de ses entraîneurs est indéniable. Quand l'Argentine deviendra championne du monde en 1986, c'est d'ailleurs l'un des piliers des Estudiantes de Zubeldia, Carlos Bilardo, qui se trouve à la tête de l'Albiceleste. Un homme qui, comme son aîné, vivait son métier comme un sacerdoce, et se dit «inventeur du 3-5-2», schéma avec lequel il a remporté le Mondial.

Les Brésiliens sont mieux payés 

Bilardo a fait école, comme César Luis Menotti, l'autre sélectionneur argentin à avoir remporté le Mondial (1978). En Argentine, le pays se partage d'ailleurs entre Menottistes et Bilardistes, comme Saint-Germain-Des-Prés se divisait entre sartriens et camusiens. Une troisième école, qui fait la synthèse entre le goût pour l'offensive de Menotti et celui du détail de Bilardo, s'est toutefois inséré dans le débat: le Bielsisme.

En Argentine, le pays se partage entre Menottistes et Bilardistes, comme Saint-Germain-Des-Prés se divisait entre sartriens
et camusiens

L'émulation interne n'a fait que de conforter l'Argentine dans son statut de leader des bancs de touche latino-américains. À noter toutefois que le petit frère uruguayen aurait aussi son mot à dire comme exportateur d'entraîneurs, mais sa démographie chétive (trois millions d'habitants) ne lui permet pas de produire dans le même ordre de grandeur que l'Argentine.

L'Argentine aime réféchir sur sa grande passion populaire. À Buenos Aires, un chauffeur de taxi ou d'Uber pourra ainsi vous parler de son système préféré (4-3-3 ou 4-4-2) plutôt que de son joueur favori. «Le Brésil exporte de grands athlètes, mais ceux qui forment les entraîneurs sont les Argentins […], ils étudient davantage que nous», schématisait récemment Carlos Miguel Aida, président du Sao Paulo FC. «L'entraîneur brésilien est toutefois moins tenté de s'exporter car il est très bien payé», nuance Ruben Omar Romano, qui a fait toute sa carrière au Mexique.

Qu'il y ait beaucoup à apprendre en Argentine a été l'une des convictions de Pep Guardiola quand il préparait sa carrière d'entraîneur. En 2006, celui qui est souvent considéré comme le meilleur entraîneur du monde s'est rendu au pays du tango, de la viande et du football, pour aller s'infuser du savoir de Cesar Luis Menotti et de Marcelo Bielsa. De longues discussions formatrices pour celui qui venait tout juste de terminer sa carrière au Mexique, où il était tombé sous le charme de la sélection de Ricardo La Volpe.

La position des missionnaires

Aujourd'hui, dans un football globalisé, l'entraîneur argentin commence à faire son trou en Europe. Malgré l'échec de Gerardo Martino au Barça, Marcelo Bielsa a séduit Bilbao et Marseille, tandis que Diego Simeone a conquis Madrid. En Premier League, Mauricio Pochettino (Tottenham) a la cote, et au Celta Vigo, l'expérience Eduardo Berrizo, disciple de Bielsa, a été un succès (huitième place en 2014-2015). Bien avant eux, il y avait eu César Luis Menotti (Barça), Hector Cuper (Valence, Inter), ou Carlos Bianchi (PSG, AS Roma).

Véritables missionaires du football qui viennent répandre la parole du jeu en Amérique latine, les entraîneurs argentins doivent aussi beaucoup à leurs pays d'adoption. Là où ils se sont parfois rodés, alors que la concurrence était trop forte au pays pour pouvoir s'y imposer. Ainsi, Gerardo Martino, avant d'obtenir le poste le plus prestigieux du football argentin, a fait le gros de sa carrière au Paraguay, et n'avait jamais brillé à domicile avant de devenir champion d'Argentine avec Newell's en 2013. Quant au sélectionneur du Pérou, Ricardo Gareca, il a gagné son premier titre quand il dirigeait l'Universitario Lima (2008), avant de briller enfin en Argentine, avec Vélez Sarsfield (quatre titre de champion). Le Pérou a aussi servi à Jorge Sampaoli à se révéler. Il a ensuite fait son trou en Chili, en faisant de la U de Chili une machine à gagner et à bien jouer.

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Arrivé en sauveur ou précédé d'une réputation de grand professeur, l'entraîneur argentin dispose souvent de davantage de temps à l'étranger que dans son pays. Autrement dit, si certains pays latino-américains doivent beaucoup aux entraîneurs argentins, la réciproque est vraie. Et ce n'est pas Jorge Sampaoli qui dira le contraire. En Argentine, son expérience la plus notable est d'avoir entraîné un club de troisième division. Dimanche, il pourrait donner au Chili sa première Copa América.

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