L'Argentin Gustavo Grobocopatel, à la tête d'une multinationale agro-industrielle et surnommé "le roi du soja", se moque des Européens hostiles aux cultures OGM, leur opposant les méthodes d'une Amérique du Sud "avant-gardiste".
"En Amérique du Sud, on travaille pour alimenter le monde, et en général en Europe vous faites du jardinage. Je n'ai rien contre, mais je suis lassé de ces donneurs de leçons qui disent au reste du monde comment il faut faire", s'exclame M. Grobocopatel, le patron du puissant groupe Los Grobo, présent en Argentine, au Brésil et en Uruguay.
Le cliché du paysan européen propriétaire des champs qui conduit lui-même son tracteur amuse les fermiers argentins, qui vivent souvent dans les grandes villes, laissant à des techniciens, comptables et agronomes la gestion de l'exploitation, de 500 à 50.000 hectares.
Les critiques sur les cultures génétiquement modifiées paraissent d'un autre âge dans un pays où l'agriculture est historiquement orientée vers l'exportation et la commercialisation et où l'utilisation des OGM ne fait pratiquement pas débat.
A Buenos Aires, dans les bureaux modernes mais sans ostentation d'une de ses entreprises, spécialisée dans les biotechnologies, Gustavo Grobocopatel, homme rondouillard de 51 ans, a les yeux rivés à son ordinateur et son téléphone portable, tout en sirotant un maté, l'infusion traditionnelle que les Argentins consomment à longueur de journée.
Producteur sans terre
Il est le reflet de l'agriculture hi-tech du XXIe siècle: un homme d'affaires loin des champs qui brasse des milliards de dollars sans posséder les terres qu'il exploite.
"Je suis un +sans-terre+ car je ne possède pas les champs, je n'ai pas d'employés car je sous-traite et je n'ai pas de capital car on me le prête", lance-t-il avec un air malicieux.
Il constitue des "pools" pour rassembler des fonds pour louer des terres, confie le travail des champs à une myriade d'entreprises spécialisées dans le semis, l'épandage aérien d'engrais, la récolte du grain, puis le transport de la production vers le port de Rosario, sur le fleuve Parana, d'où il est exporté vers l'Asie et l'Europe.
Grobocopatel se défend d'être le plus gros producteur de soja - son groupe est le 2e producteur argentin et 1er pour le blé - mais son discours provocateur en a fait un personnage incontournable du monde du soja.
Le siège de son entreprise Los Grobo se trouve sur la route entre Buenos Aires, où il vit, et Rosario, La Mecque du soja.
L'explosion des cultures de soja en Amérique latine répond à l'augmentation de la consommation de viande, notamment en Chine, où une grande partie de la population a bouleversé ses habitudes alimentaires.
La hausse de la demande de soja, "cela part d'un fait positif: les gens mangent plus et mieux (dans les pays émergents)", "celui qui critique le soja, estime-t-il, est contre les pauvres" qui accèdent à la consommation de viande.
Pour faire face à cette demande, l'Amérique du Sud est selon lui devenue un "leader technologique au niveau mondial", mais "il faut encore pousser la recherche et développement dans les biotechnologies et dans l'utilisation de la robotique".
Des drones sont par exemple utilisés pour la cartographie des champs.
L'Argentine, qui a produit 50 millions de tonnes de soja en 2013, a par exemple introduit le semis direct sans labours, qui fait baisser le coût de production.
Alors qu'il participe à l'augmentation générale de la consommation de viande, M. Grobocopatel préconise d'en manger avec modération. Si partout dans le monde, on se mettait "à fonctionner comme les consommateurs américains, quatre planètes de soja ou de minéraux ne suffiraient pas. Le défi qui nous attend est rationaliser les habitudes de consommation. Mais c'est difficile de dire à un peuple qui a connu la faim, en mangeant une tasse de riz par jour, de se retenir".
Si l'Argentine n'a pas enregistré en 2012-2013 de récolte record, c'est à cause de la ponction fiscale sur les exportations, considère M. Grobocopatel. Cette politique, dit-il "est un frein à la productivité. Nous devrions produire 30 à 40% de plus".