Les anciens footballeurs, ça ne manque pas à Buenos Aires. Pour être sûr d’en trouver, il suffit de se rendre au nord de la ville, dans les quartiers cossus de Belgrano et Nuñez, ou pousser jusqu’en banlieue à Vicente Lopez, Olivos ou San Isidro. Mais pour retrouver la trace du meilleur buteur de l’histoire du championnat de France, il faut mettre le cap sur la très populaire localité de Ramos Mejia, à deux arrêts de train de la capitale argentine. « Ma mère vit ici. Quand je suis en Argentine, je passe l’essentiel de mon temps chez elle »
, confie Delio Onnis. A 67 ans, il reste le joueur le plus efficace de la Ligue 1 (à son époque on l’appelait encore Division 1), avec un record qui n’est pas près d’être battu : 299 buts. Ramos Mejia, une ville à des années-lumière de Monaco – « la ville et le club de ma vie »
– pour laquelle Delio Onnis a empilé 223 buts (toutes compétitions confondues) entre 1973 et 1980, et où le meilleur buteur de l’histoire du club réside aujourd’hui officiellement, même s’il n’y est que de passage. La faute à son nouveau boulot : superviseur en Argentine pour le club de la Principauté depuis 2014. « Je vais voir trois ou quatre matchs par week-end et, à chaque fin de journée de championnat, j’envoie un rapport à l’ASM, raconte Delio Onnis. J’observe les joueurs argentins, jeunes et moins jeunes. »
Lucas Ocampos, prêté à l’Olympique de Marseille depuis le mercato d’hiver, c’est lui. « J’en parlais au club depuis longtemps, avant l’arrivée des nouveaux dirigeants fin 2011. »
Du milliardaire russe Dimitri Rybolovlev et de son équipe, Onnis ne pense d’ailleurs que du bien. « Ils font les choses correctement, et ont amené de la sérénité. Je leur fais confiance. Jouer les quarts de finale de la Ligue des champions, c’était extraordinaire »
, explique-t-il dans un français impeccable.
Le jeune Delio, né en Italie, débarqué à deux ans en Argentine, rejoint la France en 1971. Sur un malentendu. A l’époque, le Stade de Reims, de retour en première division, vient de faire signer Alfredo Obberti, le redoutable buteur argentin de Newell’s Old Boys. Tout est réglé par téléphone, mais au moment de parapher le contrat, la femme du joueur change d’avis : elle ne veut plus rien savoir de l’Europe. Sur place, les dirigeants rémois cherchent donc une alternative. Delio Onnis, jeune attaquant de Gimnasia y Esgrima La Plata, est l’heureux élu.
Contrairement à ce que peuvent laisser penser les statistiques – 39 buts en deux saisons à Reims –, les débuts de l’Italo-Argentin dans l’Hexagone ne sont pas évidents. « Je souffrais beaucoup, ma famille et mes amis me manquaient, raconte-t-il. Je passais presque tout mon salaire en appels téléphoniques. C’était galère, en plus. Il fallait que j’appelle le voisin de mes parents, qui était le seul à avoir un fixe. »
Mais les choses changent un jour de 1972. Le Stade de Reims se déplace en Principauté. Pour Onnis, c’est le coup de foudre immédiat. « Dès mon premier jour à Monaco, j’ai acheté une carte postale, et écrit à mes parents : “Si un jour l’ASM me demande, j’y vais à pied s’il le faut”. »
L’attaquant est fasciné par la ville. L’année suivante, son rêve se réalise : il signe à Monaco, de retour dans l’élite et dirigé par Ruben Bravo, un Argentin. « Le début d’une longue histoire d’amour qui dure jusqu’à aujourd’hui, et qui terminera avec ma mort »
, confie-t-il très sérieusement.
Sous le maillot Perrier rouge et blanc floqué du numéro 9, avec lequel il remporte le championnat en 1978 et la Coupe de France en 1980, Onnis montre toute son aura face à la cage. Deux titres de meilleur buteur en D1 (30 buts en 1975, 21 en 1980), un autre lors de la saison de l’ASM en D2 (1977). « J'ai eu la chance de ne pas trop me blesser et d’avoir des super-coéquipiers, partout où je suis passé. Et puis bon, j’avais du flair et j’étais froid dans les endroits chauds. »
Mais être « renard des surfaces », ce n’est pas qu’un don, ça se travaille, dit-il. « A l’entraînement, je me mettais à 5 mètres du but de Jean-Luc Ettori pendant que les autres tiraient, et je lui disais : “Ne relâche pas le ballon, parce que je te la mets au fond direct”. »
C’est de cette façon qu’un soir de septembre 1971, il inscrit son premier but en France, à Auguste-Delaune, face à Nantes, suite à un tir repoussé de Bernard Lech. Quelque chose d’autre ? « Non, c’est tout. Ah si, la position du centreur ! Si celui-ci avait pris le dessus sur son vis-à-vis, j’allais au deuxième poteau. S’il était plus en difficulté au moment de centrer, au premier. Voilà, c’était mes seules règles. »
Pendant dix ans, Onnis et Bianchi (à Reims et au PSG), l’autre attaquant argentin du championnat de France, monopolisent les titres de meilleur buteur en Division 1. Avec les chaussettes sur les chevilles, et sans protège-tibias. « Platini a même dit dans son livre qu’il n’avait jamais pu obtenir ce titre à cause des deux monstres venus d’Argentine, s’amuse l’ami du prince Albert II, qui vient parfois lui rendre visite à Buenos Aires. J’ai une excellente relation avec la famille princière, cela fait partie de mon admiration pour Monaco. Je jouais avec Albert quand il n’était qu’un ado. Quand je suis là-bas, il m’invite dans sa loge de Louis-II les jours de match. »
En forme malgré les années et les kilos en plus, le visage dur, signe d’un caractère bien trempé, Delio Onnis regrette que les joueurs de son profil aient disparu dans le football moderne. « Aujourd’hui, on demande aux attaquants de courir et de participer au jeu. C’est un autre rythme, certes, mais, nous, on avait ce que plus grand monde n’a : une mauvaise passe ou un tir raté nous suffisaient pour marquer. »
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La fin de son aventure à l’ASM est un mauvais souvenir. Après sept saisons à une moyenne infernale de 30 buts, le club tente de le remplacer par le buteur autrichien Johann Krankl. « Ils n’ont pas réussi et sont revenus vers moi avec une proposition d’une seule année de contrat. C’était blessant. Je suis parti à Tours, qui me proposait trois fois plus. Ma femme et moi, on pleurait en quittant Monaco. »
C’est aussi l’époque de la dictature militaire en Argentine. Les nouvelles qui arrivent en France ne sont pas les mêmes que celles qui anesthésient les Argentins. « Au téléphone, ils me disaient que non, que tout était calme. Pareil pour les Malouines, mon père me racontait qu’ils étaient en train de gagner la guerre. Ils étaient manipulés, désinformés. C’est avec le temps qu’on s’est vraiment rendu compte de ce qu’il s’était passé, et ça fait mal. »
Sur les terrains, Onnis continue toutefois à faire du Onnis. En Indre-et-Loire, il rafle deux nouveaux titres de meilleur buteur (1981, 1982), puis un dernier à Toulon, en 1984, à 36 ans, avec un certain Rolland Courbis. Retraité, il passe ses diplômes d’entraîneur et tente l’expérience au Paris FC, mais ça ne lui plaît pas. « Je ne supportais pas d’avoir les dirigeants sur le dos. Sur le banc, la seule chose que j’aurais acceptée est d’être l’adjoint de Rolland, je partage tout du football avec lui. »
De retour à Monaco, « cet endroit sacré »
, où ses trois enfants sont nés et travaillent, il finit par se lancer dans cette vie d’allers-retours avec l’Argentine.
Dans la rue, à Ramos Mejia, personne ne le reconnaît. L’Argentine, d’ordinaire si fière, n’a jamais parlé des exploits d’Onnis de l’autre côté de l’Atlantique. « C’est un peu bizarre. J’aurais pu recevoir une décoration, quelque chose, mais ce n’est pas grave. Un jour, je parlais avec le directeur du Grafico, le plus célèbre magazine de sport d’Argentine. Je disputais la finale de la Coupe de France, et je lui ai demandé quand est-ce que j’allais être dans le magazine. Il m’a répondu : “Jamais”. Ici, c’était Boca, River, et puis c’est tout. »
Pas plus de succès en Italie, son pays de naissance. « Ils n’avaient pas besoin de moi, ils n’avaient que des monstres : Luigi Riva, Alessandro Mazzola, etc. »
Au fond, Delio Onnis s’en fiche. Depuis plus de quarante ans, son club, sa ville, c’est Monaco. En Principauté, on le connaît, le salue, l’apprécie. « Je préfère être reconnu comme être humain que comme joueur de foot. Je dis toujours à mes enfants : le sportif passe, l’homme reste. »
Le buteur aussi : le joueur encore en activité le plus proche de son record, Bafétimbi Gomis, qui joue aujourd’hui en Angleterre, a encore 197 buts de retard.