Argentine : les zones de production du sojaCrédits : siia.gov.ar
Monsanto est une entreprise qui fait la promotion de l’agriculture durable et des droits de l’homme… En tout cas, c’est ce qu’on peut lire sur la page qui présente le fonds de soutien de Monsanto (Monsanto Fund) : « Sur la période 2010-2011, le Monsanto Fund a alloué plus de 30 millions de dollars à des communautés brésiliennes, indonésiennes, mexicaines, kényanes ou paraguayennes. Sur cette même période, son action a bénéficié, entre autres, à plus de 5 millions de personnes au Brésil et 3000 familles en Inde » [1]. Outre le fait que ces 30 millions de dollars ne correspondent qu’à une infime part des bénéfices de l’entreprise (avec 1,48 milliard de dollars de bénéfices en 2012, ces fameux 30 millions correspondent au bénéfice réalisé par Monsanto en... une semaine !), ce fonds permet une publicité à peu de frais et une défiscalisation… Or, cette entreprise est loin d’être aussi « responsable » qu’elle le soutient. Aider les pauvres, c’est bien, mais payer ses impôts, c’est mieux... et théoriquement obligatoire !
Monsanto, Bunge, Cargill, condamnées pour évasion fiscale
En 2012, l’entreprise Monsanto a été suspendue à deux reprises du Registre national argentin des Céréales [2], pour ne pas avoir payé correctement ses taxes à l’État argentin : en février 2012 [3], car l’administration fiscale lui réclamait 8,5 millions de dollars US ; et en octobre 2012 [4], pour une somme non payée de 70 millions de dollars US de taxes pour la période 2001 / 2008. Le Trésor public argentin (AFIP) [5] précise que Monsanto s’étant acquittée de la première somme, il avait procédé à sa réinscription au Registre. Concrètement, les enquêteurs de l’AFIP précisent que Monsanto a inventé des prêts fictifs à des sociétés installées dans des paradis fiscaux (Monsanto Panama, Monsanto Bermudes) pour payer moins d’impôts sur ses bénéfices. A l’heure actuelle, nous ne savons toujours pas si Monsanto a finalement payé les 70 millions de dollars. En tout état de cause, Monsanto n’a jamais vraiment été inquiétée car cette entreprise a pu continuer à vendre ses semences de soja transgénique…
En Argentine, les herbicides sont pulvérisés par avionCrédits : Santiago Nicolau
Une autre fraude de Monsanto, qui était à l’étude par l’AFIP en 2012, concerne la cession de parts à une entreprise espagnole, qui n’aurait pas été effective. Cette manipulation aurait entraîné une évasion fiscale de l’ordre de sept millions de dollars, en vertu des accords de double imposition. L’AFIP n’a pas encore répondu aux demandes de précisions d’Inf’OGM.
D’après le journal en ligne Bloomberg [6], Monsanto a indiqué que cette suspension n’empêcherait pas l’entreprise de continuer son activité en Argentine. De même Bunge, le deuxième exportateur en Argentine qui a été suspendu de ce registre début octobre 2012, pour des raisons similaires, a pu continuer sans difficulté à exporter, précisent les responsables de l’entreprise. Concrètement, la suspension n’implique qu’une simple suspension temporaire du régime des avantages fiscaux pour les entreprises inscrites au registre des commerçants de céréales, comme des réductions de taxes à l’exportation. Autrement dit, pendant la période de suspension, Monsanto se verra appliquer un taux de 25% (contre 10% précédemment).
Cargill est aussi sur la sellette, de même que de nombreuses autres entreprises impliquées dans les mines (Barrick), ou la métallurgie (la branche nationale de Metallurgical Corp. of China Ltd), etc. L’année dernière, précise le Trésor, les dix plus importantes entreprises impliquées dans l’exportation ou la transformation des céréales et du soja n n’ont pas payé l’ensemble des taxes dues. Bunge, Cargill, Molinos Rio de la Plata, à eux trois, devaient, pour la période de 2005 à 2009, la modique somme de 65 millions de dollars.
L’exploitation d’une main d’œuvre précaire
L’Argentine est un eldorado pour les grandes entreprises, où elles font la pluie et le beau temps. Les droits humains sont bafoués. La production de maïs hybride exige une très grande quantité de petites mains, notamment pour castrer les maïs. Les entreprises semencières embauchent des saisonniers qu’elles payent à peine, qui travaillent sept jours sur sept, entre 9 et 14 heures par jour, logent dans des baraquements de tôle, sans eau, sans électricité, etc. Leurs conditions de travail sont tout à fait alarmantes, voire se rapprochent de l’esclavage. Selon le Registre national des Travailleurs Ruraux et des Employés, 1,3 millions de personnes travaillent dans les champs, mais à peine un quart (autour de 325 000) sont déclarées. Ces pratiques ont mené l’administration argentine à réagir, notamment sous l’influence du procureur de la ville de San Nicolas, Rubén Darío Giagnorio. Malheureusement, les contrôles n’ont pas changé fondamentalement la situation de ces travailleurs.
Les habitats précaires des saisonniersCrédits : inconnu
Ainsi, les grandes entreprises multinationales se préoccupent peu du respect du droit du travail. Nidera, une importante entreprise néerlandaise impliquée dans le commerce du grain, a fait l’objet de plaintes pour fraude fiscale (49 000 euros…), ce qui a conduit l’administration a découvrir qu’elle exploitait ses « ouvriers » mais aussi ne payait pas correctement ses impôts. Nidera fait partie des six plus grandes entreprises (après Cargill, Bunge, ADM, Dreyfus et Toepfer) qui exportent des céréales argentines, et une des premières à avoir reçu l’autorisation de commercialiser des semences de soja transgénique tolérant le glyphosate en 1996. En 2011, Rubén Darío Giagnorio, le procureur de San Nicolás, a donc porté plainte contre Nidera.
Tout comme Monsanto, cette entreprise a un double visage. Son président, Martin Mayer Wolf, était en 2010 très impliqué dans l’ONG Accion Internacional, dont le but est d’aider à sortir de la pauvreté via le micro-crédit [7].
D’autres multinationales, comme Pioneer, ou des entreprises semencières nationales installées dans la sous-région, comme Tobin, ont aussi fait l’objet de dénonciation par l’AFIP [8].
Mais le plus souvent ce sont des sous-traitants qui sont les responsables de cette forme moderne d’esclavage. Deux cas de figure existent : les entreprises qui fournissent la main d’œuvre aux multinationales ou aux entreprises nationales, ou des entreprises nationales qui produisent les semences pour les multinationales. Dans les deux cas, les bénéficiaires sont les entreprises étasuniennes ou européennes.
En janvier 2012, l’AFIP a ainsi « constaté que 100% [du] personnel [de RuralPower SA] était en situation irrégulière mais aussi que les employés ne pouvaient pas sortir de l’enceinte de l’entreprise » sans autorisation préalable de la direction. Rural Power est une filiale de la multinationale ManPower [9]. Elle recrute de la main d’œuvre bon marché, qu’elle met à disposition de grandes entreprises agricoles ou semencières. Ainsi, concrètement, dans sa dénonciation établie le 11 janvier 2012, l’AFIP souligne que « Monsanto est solidairement responsable des actions que réalise son contractuel Rural Power ». Au regard de ces irrégularités, l’AFIP a porté plainte à la Fiscalía Federal de Mercedes. Adecco Specialities S ou SMW Agro ont aussi été inquiétées ponctuellement par l’AFIP : elles servent en effet d’intermédiaires entre notamment Pioneer et des ouvriers agricoles au bord de l’asphyxie, principalement de la région du nord de l’Argentine, Santiago del Estero.
L’autre cas de figure est lié à la situation géographique de l’Argentine. De nombreuses entreprises semencières sont des prestataires pour des entreprises internationales, comme Monsanto, Pioneer, Dow AgroScience, Cargill, ou encore Don Mario. Historiquement ces semences « de contre saison » étaient produites au Chili [10], mais l’Argentine a détrôné son voisin.
Entre 2000 et 2010, l’exportation de semences a connu un boom sans précédent, avec une augmentation de 87% des recettes en dix ans [11]. Ces prestataires sont investis tant dans la production de semences génétiquement modifiées que non GM. Or, ils ont été à de nombreuses reprises, au cours des quatre dernières années, épinglés par l’administration pour non respect du droit du travail. Parmi ces entreprises, Satus Ager [12] (qui est aussi impliquée dans des essais en champs de variétés transgéniques), FN Semilla [13], Southern Seeds Productions, etc. Cette dernière a été inculpée en 2011, puis en 2014. En 2011, la plainte concernait quelques 400 personnes mais quatre mois plus tard, le juge a pourtant classé le dossier, considérant qu’il n’y avait pas assez de preuves pour justifier une condamnation des responsables de l’entreprise [14].
Le plus dramatique est que ces « ouvriers saisonniers », souvent d’origine indigène, ne peuvent plus cultiver leur propre terre : problème d’eau lié à l’installation d’un barrage sur le Rio Hondo, accaparement des terres par les éleveurs, eux-mêmes poussés vers le nord par l’arrivée des cultures de soja [15]...
Irrigation d’un champ de sojaCrédits : Soybean Checkoff
Monsanto accusée de « position dominante » sur le marché des semences
La « réussite » économique de Monsanto passe aussi par l’organisation abusive du marché des semences. Monsanto impose aux entreprises qui souhaitent acquérir et utiliser des semences transgéniques de soja Intacta (Roundup Ready II – RR2Y et Roundup Ready II Bt – RR2YBt) [16] un contrat considéré comme contraire aux « intérêts légitimes de la chaîne de production et de commercialisation du soja » par plusieurs organisations agricoles. Ainsi, le 1er septembre 2014, la Fédération des coopératives fédérées (Fecofe), soutenue par plusieurs autres organisations (la Chambre argentine des semenciers multiplicateurs – Casem, la Fédération argentine des coopératives apicoles et agricoles – FACAAL, etc.), a porté plainte auprès de la Commission nationale de défense de la concurrence (Comisión Nacional de Defensa de la Competencia, CNDC)
Monsanto oblige les producteurs (ils sont environ 73 000 en Argentine) et les multiplicateurs (environ 800 petites et moyennes entreprises très atomisées sur le territoire) à signer son contrat pour pouvoir utiliser les semences de soja Intacta.
Ce contrat, qui restera en vigueur jusqu’en novembre 2028, impose aux producteurs différentes obligations : vendre leur production aux seuls organismes stockeurs autorisés par Monsanto, à savoir Don Mario, Nidera et l’association des coopératives argentines ; semer les semences Intacta RRII uniquement dans les zones définies par Monsanto ; vendre le grain obtenu exclusivement aux exportateurs et collecteurs du « système » Monsanto ; payer une « prime » qui correspond au droit de brevet sur la technologie Intacta au moment de la vente d’un sac de semences certifiées (entre 3 et 4 dollars US en fonction du type de semences), ou au moment de la déclaration des semis ou de la livraison du grain aux exportateurs et collecteurs (18 dollars US par tonne de grain Intacta en mars 2014) ; séparer précisément le soja Intacta des autres sojas (en cas de mélange, l’ensemble du soja vendu sera considéré comme de type Intacta) ; permettre à Monsanto d’inspecter les champs et entrepôts ; et renoncer à son droit à utiliser le grain pour le semer l’année suivante. Les plaignants rappellent aussi que l’institution argentine en charge de la propriété intellectuelle (INPI) n’a pas encore déterminé si les semences Intacta appartiennent par le biais des brevets exclusivement à Monsanto. La législation argentine ne reconnaît toujours pas de droit exclusif sur des semences. Ainsi, Monsanto contourne la loi par le biais de contrats privés.
Pour Esteban Motta, de la Fecofe, « les contrats que promeut Monsanto sont un outil qui renforce la concentration non seulement pour garder le contrôle sur la technologie et son développement mais aussi et surtout le contrôle de la commercialisation et le développement du secte agricole en Argentine ». Les plaignants demandent que la Commission de la Concurrence suspende (au nom de l’article 35 de la loi 25.156) pendant l’instruction de la plainte les dispositions préjudiciables. En effet, précisent-ils, tout retard pourrait faire que d’autres producteurs se sentent obligés de signer ce contrat litigieux avec Monsanto. C’est en septembre que se font les achats de semence de soja… et en novembre les semis en Argentine. Le temps de la Justice pourrait donc être incompatible avec celui de l’agriculture. D’où la demande expresse de ne pas attendre la fin du jugement pour agir. Et de conclure : « le retard dans la sentence peut impliquer une accentuation irréversible dans la domination de l’entreprise Monsanto sur le marché d’approvisionnement des semences sur le reste des acteurs impliqués dans la chaîne (autant les semenciers multiplicateurs que les producteurs qui utilisent la semence) qui s’accélérera à l’approche de la date des prochains semis ».
Coucher de soleil sur un champ de sojaCrédits : CAFNR
Il serait vain de chercher à énumérer toutes les pratiques illégales, tellement elles sont nombreuses et font partie intégrante de la filière. Les bénéfices ne sont donc que très peu redistribués à la population et ne profitent au final qu’à une toute petite poignée d’entreprises qui fonctionnent comme comme une « mafia », se répartissant les bénéfices. Comme exemple de bienfaits des OGM, il faudra trouver autre chose… On pourrait presque dire que la « rentabilité » des OGM est à ce prix… car les exemples d’échecs agronomiques et économiques des plantes transgéniques se multiplient. Seuls des moyens plus ou moins illégaux permettent à ces entreprises semencières de continuer de vendre des semences à des agriculteurs de plus en plus réticents, mais captifs (par le biais des contrats, des repousses ou de l’absence de semences conventionnelles), pour obtenir des produits que les consommateurs refusent de plus en plus...