Montpellier : “4” poulets baskets sur scène

Coup de théâtre début octobre ! Voilà que Rodrigo Garcia annonce qu'il n'ira pas au-delà de son mandat dans une interview accordée à La Nacion, depuis l'Argentine, son pays natal : "J'ai pensé que la société de cette ville serait plus réceptive. Je propose un théâtre contemporain mais le public a été plus habitué à Molière, à Shakespeare. Je crois que c'est une belle mission mais que je ne vais pas continuer."

Le metteur en scène hispano-argentin au sang chaud annonçait pourtant maintenir le cap lors de sa présentation de saison 2015-2016 et signer un second exercice résolument contemporain malgré le fléchissement de la fréquentation (30 % de baisse sur la saison 2014/15, soit un tiers de la fréquentation tout de même) et les coupes budgétaires (100 000 euros de baisse sur un budget total d'environ 3,5 millions d'euros).  "Même si les vents sont contraires, je considère qu'il faut rester fidèle à ses idées, au chemin que l'on s'est fixé" a-t-il commenté lors d'une rencontre au Théâtre de la Vignette fin octobre.

"Pour beaucoup de personnes, il y a des transgressions dans mes pièces qui n'en sont pas pour moi"

Un an après sa prise de fonction comme manager du CDN (Centre dramatique national), son autre petite phrase dans le quotidien espagnol El païs sur le public montpelliérain et leur "petit théâtre de province, leurs œuvres classiques qui les rassuraient, même s'ils s'endormaient dans leur fauteuil" continue de faire réagir et d'agacer. Une partie du public montpelliérain lui reproche une posture méprisante, en plus d'avoir complètement abandonné le théâtre dit de répertoire classique au profit de pièces d'avant-garde, jugées parfois déroutantes, voire souvent provocatrices.

Certains rendez-vous comme le fameux homard découpé vif d'Accidens, et autres immersions de hamsters, tonte de jeune fille (Et balancez mes cendres sur Mickey) ou encore un festival autour de la pornographie, ont suscité moult controverses. En cette rentrée, Rodrigo Garcia tente timidement de montrer qu'il n'est pas insensible au dialogue instauré avec le public. Mais doit-on vraiment s'étonner de la détermination d'un artiste réputé provocateur et sulfureux par-delà les frontières, bien avant sa nomination à Montpellier par le ministère de la Culture et de la Communication ? Ou s'offusquer d'une proposition artistique d'avant-garde forcément clivante ?

Lorsque certains dénoncent le trash facile, d'autres sont séduits par l'énergie scénique intense et la puissance de son écriture. Certains dans la profession lui rendent des hommages appuyés, mais d'autres ont pris leurs distances. Garcia propose un théâtre radical, politique, iconoclaste. Trublion de la scène européenne bénéficiant d'une aura internationale (quelques 200 représentations de ses pièces par an dans le monde), implacable pourfendeur du consumérisme mondialisé, rappelons que C'est comme ça et me faites pas chier est le titre manifeste de l'une de ses pièces…

Rappelons aussi qu'il a rebaptisé à son arrivée en 2014 le Théâtre des Treize-Vents en humain Trop humain (hTh) en référence à un texte du philosophe Nietzsche destiné aux esprits libres. Lorsqu'on lui demande dans une rencontre universitaire où se situent ses limites artistiques, il répond : "Pour beaucoup de personnes, il y a des transgressions dans mes pièces qui n'en sont pas pour moi. Notamment sur la question des animaux. Si moi j'ai besoin de ces formes sur scène pour m'exprimer, je continuerai".

Rupture poétique

Cette semaine il présente sa très attendue première création montpelliéraine intitulée sobrement 4, dont on sait peu de chose, si ce n'est qu'on y retrouvera donc des animaux... Mais pas que : "Une accumulation de grelots, de têtes de coyote, de tourne-disques qui jouent la 4e symphonie de Beethoven, de petites filles de neuf ans, d'un peu de littérature, d'un samouraï, de tennis contre un tableau de Courbet, de dessins animés (...)". Soit toute une galerie de figures et de personnages dont Rodrigo Garcia n'est pas coutumier.

Rupture annoncée également dans l'écriture puisque l'auteur insère dans son spectacle des textes poétiques qui n'ont plus rien à voir avec le théâtre. Enfin quatre poulets affublés de baskets à en croire les visuels çà et là : "Il y a quatre coqs sur scène. Je sais que ça irritera certaines personnes en France, en Italie, ou ailleurs. Alors je fais quoi ? J'enlève les coqs ? Il y a beaucoup de pression pour que tu changes ton opinion. Mais si tu changes ton opinion, quelle est ton utilité par rapport à la société ?" Rodrigo Garcia a encore un peu plus d'un an (jusqu'à la fin de son mandat, en 2017) pour apporter une réponse convaincante.

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