Argentins et Néerlandais écriront mercredi en demi-finale du Mondial un nouveau chapitre de leur grand "classique", marqué par le souvenir de 1978 et le premier titre de l'Argentine à domicile en pleine dictature militaire qui a ensuite eu des répercussions sur la reine des Pays-Bas.
Le 25 juin 1978, le dictateur Jorge Videla levait les bras au ciel après le triomphe de l'Albiceleste (3-1 a.p.), en finale à Buenos Aires, devant des Néerlandais privés de Johan Cruyff, resté au pays par choix personnel.
Les cris des 71.000 spectateurs présents au stade Monumental couvraient ceux des prisonniers enfermés secrètement à dix rues de là, dans l'Ecole supérieure mécanique de l'armée (Esma), centre de torture emblématique de la dictature (1976-83).
Trente six ans plus tard, l'histoire rattrape deux pays au destin lié: la reine des Pays-Bas, Maxima Zorreguieta, qui est née et a grandi à Buenos Aires, doit composer avec un père qui fut secrétaire d’État à l'Agriculture pendant la junte militaire, qui avait fait 30.000 "disparus".
En tant qu'ancien ministre de la dictature, Jorge Zorreguieta n'avait pas été autorisé à assister au mariage princier en février 2002, ni même à la cérémonie d'intronisation du nouveau roi Willem-Alexander, l'époux de sa fille, le 30 avril 2013.
"Quand ils jouaient à River (River Plate est le club qui évolue au Monumental), selon le sens du vent, nous pouvions entendre les cris après chaque but. Cela se mélangeait avec ce qui se passait ici à l'intérieur, parce qu'il y a eu un arrêt (des tortures) avec la présence de la presse étrangère", relate la journaliste Miriam Lewin, une des survivantes de l'Esma.
- "Utilisés politiquement" -
Le régime militaire, malgré des appels au boycott précédant le tournoi, s'est servi de "son" Mondial pour améliorer l'image d'un pays plongé dans la terreur.
Des médias étrangers, notamment néerlandais, ont tout de même réussi à lever une partie du voile qui masquait la réalité, avant que le monde ne découvre l'ampleur de la tragédie.
"La Coupe du monde a été la campagne de propagande la plus extraordinaire et la plus géniale de la dictature militaire, et son unique succès, parce que l'autre (campagne) c'était les Malouines", explique Lewin.
En 1982, l'armée argentine avait subi un humiliant camouflet dans cet archipel de l'Atlantique Sud, après 74 jours de combats face aux Anglais.
Une polémique secoue toujours l'Argentine: la fête qui a suivi le sacre de 1978 servait-elle de caution pour la dictature ou d’échappatoire pour une société accablée par la situation politique?
Dans le documentaire "Mondial-78, l'histoire parallèle", Estela de Carlotto, la leader des Mères de la place de Mai (une association de mères de disparus) raconte qu'elle et son mari pleuraient la disparition de leur fille et d'un petit-fils pendant que sa famille célébrait les buts de l'Argentine. "Pendant que vous criez, vous étouffez les cris des torturés", disait-elle.
En 2006, Maxima, encore princesse, avait rencontré à sa demande Estela de Carlotto, dont l'association a permis de retrouver 110 enfants disparus ou volés par les militaires. "C'était une rencontre très positive. Parce qu'elle a montré qu'elle n'était pas indifférente à la violation des Droits de l'homme. Elle a une grande sensibilité et elle m'a paru très intelligente", a rapporté Carlotto à l'AFP en 2013.
Sur un autre terrain, sportif celui-là, l'Argentine s'interroge encore aujourd'hui sur le rôle des joueurs pendant le Mondial controversé.
"Il ne fait aucun doute que nous avons été utilisés politiquement, mais je ne me sens pas comme un acteur" de la dictature, dit Ricardo Villa, un des champions du monde.
Son coéquipier Daniel Bertoni, auteur du dernier but en finale, reconnaît pourtant: "Nous les avons aidés, parce qu'avec nos victoires, ils sont restés un petit peu plus longtemps au pouvoir".
Depuis la finale de 1978, l'Argentine n'a plus jamais gagné en Coupe du monde contre les Pays-Bas, qui l'ont éliminée (2-1) en quart de finale en 1998 avant de la neutraliser (0-0) en poules en 2006.