Minino Garay, l’apôtre du cuarteto

Dans la ville de Córdoba, dans le nord de l’Argentine, on ne conçoit pas un bal populaire sans Fernet Coca, ni cuarteto. Dans les verres, un cocktail à base de Fernet-Branca, ce digestif amer distillé en Italie et dont les Argentins et les Uruguayens sont les plus gros consommateurs mondiaux. Et dans les oreilles, un mélange de tarentelle et de paso doble. «Une pure musique d’immigrés née dans les années 60, explique Minino Garay, originaire de la ville. Quand les Italiens jouaient la tarentelle, les Espagnols restaient assis. Quand ces derniers entamaient un paso doble, les Ritals s’écartaient. Jusqu’au jour où tout s’est métissé sous le nom de cuarteto, et la ville entière est entrée dans la danse : les Arméniens, les Libanais, les Ukrainiens…»

Minino Garay, 46 ans, est le digne héritier de Domingo Cura, le plus grand percussionniste argentin, mort en 2004. Installé à Paris depuis plus de vingt ans, il a créé les Tambours du Sud, accompagné Julien Lourau, Nilda Fernandez ou Dee Dee Bridgewater. Ces derniers temps, on le retrouve dans le groupe du pianiste Laurent De Wilde, ou a la tête des Frapadingos, une débauche de percus latines à vingt exécutants.

«Chichi». Pour Asado, le disque qu’il vient de terminer et qu’il publiera en octobre, il a accompli un vieux rêve : faire connaître la musique qui a bercé son enfance et avec laquelle il garde un lien familial étroit. «Un de mes oncles, producteur et compositeur, est un des inventeurs du cuarteto. Dans les années 70, il a lancé le seul groupe féminin du genre, Las Chichi, qui a eu un énorme succès. Au point qu’à Córdoba, on emploie toujours l’expression "chichi" pour désigner une belle femme.» Le cuarteto se joue avec piano, cuivres et accordéon. En Argentine, il reste identifié aux classes populaires, et n’est guère valorisé, malgré l’impact du chanteur Carlos «la Mona» Jiménez, le roi du genre, dont les refrains sont repris par les groupes de supporteurs pendant les matchs de foot. «Depuis une dizaine d’années, le cuarteto est parti sur une mauvaise pente, regrette Minino Garay. Un groupe lui a collé une rythmique accélérée de merengue dominicain et tout le monde a embrayé. Sur mon disque, je reviens à celui des origines, dans l’esprit de mon oncle. J’ai enregistré à Córdoba, avec les meilleurs musiciens du genre, dont l’accordéoniste La Mona Jiménez.» Le maître percussionniste (et chanteur) a délaissé les classiques pour offrir des compositions originales, sur des textes écrits, notamment par sa mère.

Guinche. Cet été, en avant-première, Minino Garay teste le cuarteto dans des festivals de jazz peu habitués à accueillir la guinche populaire. «A l’âge que j’ai, je me moque des étiquettes», explique l’Argentin barbu. Personnage truculent, il se montre parfois sur scène un poil trop bavard, mais très drôle quand il charrie les Porteños (habitants de Buenos Aires) qui croient avoir tout inventé. Et il ne doute pas du potentiel de cette musique de fête au charme provincial et naïf, qu’il s’apprête non sans fierté à faire découvrir. «Le tango ou la salsa sont complexes, il faut un apprentissage pour les appréhender, justifie-t-il. Le cuarteto, lui, est binaire et facile à danser, il suffit de se laisser aller.»

Démonstration ce soir en ouverture du festival de jazz de Saint-Emilion, où Minino Garay et son groupe partagent l’affiche avec le big band du vétéran cubain Ernesto «Tito» Puentes. Pour sa deuxième édition, la manifestation propose une affiche ambitieuse avec Chick Corea demain et Nile Rodgers, ambassadeur du funk avec son groupe Chic, dimanche. Les pianistes Baptiste Trotignon, Edouard Ferlet, Fred Hersch et Monty Alexander seront aussi de la fête.

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