Miguel Benasayag: « Chavez incarnait une légitimation du désir de …

En tant que militant de gauche, comment vous situez-vous par rapport à Hugo Chavez ?

Je suis de la gauche alternative, ni chaviste, ni anti-chaviste. J’appartiens à une lignée qui, suite à la lutte armée contre les dictatures, a lancé une série de mouvements : les sans-terre[1], l’indigénisme[2], etc. Cette gauche de contre-culture a cessé de viser le pouvoir en pariant sur le changement social. Son action repose sur la création de structures de coopération, de récupération d’usines, de distribution par troc… Elle connaît un essor très important après la chute des dictatures sud-américaines, mais elle échoue à proposer une alternative de pouvoir, puisqu’elle en fait une question certes importante, mais secondaire.

 

Dans quel contexte la figure de Chavez a-t-elle émergé ?

Après la chute des dictatures, ce sont les différents gouvernements néolibéraux qui tombent. Mais aucune alternative politique n’existe. Un slogan émerge alors, donnant sens à ce désenchantement : « Que se vayan todos ! » (Qu'ils s'en aillent tous !) Il exprime un dégoût face aux politiciens, de droite comme de gauche. Aucun changement radical n’étant envisageable, le vote se porte alors, par dépit, sur les leaders des partis de gauche, les aspirations étant tout de même plutôt portées vers la démocratie. Des gouvernements se forment au Brésil, en Bolivie, en Argentine, en Équateur, au Pérou, au Paraguay… Parmi eux,  Chavez.

 

Qui était Chavez ?

Hugo Chavez, d’abord identifié comme un putschiste nationaliste, se rapproche ensuite d’un populisme de gauche aux accents bonapartistes, que soutiennent des mouvements du centre, voire droitiers. Fort de ces appuis, et dans un contexte de désillusion politique, Chavez tente dans les années 1990 une OPA sur tous les mouvements révolutionnaires en Amérique latine. Il entend se présenter comme Fidel Castro dans les années 70 : un libérateur.

Dans les faits, il agit comme tous les gouvernements sociodémocrates au pouvoir, sans latitude d’action, incapable de réformer les structures économiques et sociales : ceux de Lula au Brésil, de Kirchner en Argentine ou de Mujica en Uruguay.

En ce sens, Chavez était donc tout sauf un dictateur. Comme tous les gouvernements progressistes en Amérique latine, il a respecté les structures sociales et de production du pays, sans les changer de force. Il a également usé d’un atout, le pétrole, qui lui a permis d’exercer une redistribution, faisant effectivement et concrètement diminuer la pauvreté, sans modifier en profondeur le système, voire en l’entretenant. En revanche les gouvernements en Argentine, en Uruguay ou au Brésil, présentent clairement leur action comme relevant du « capitalisme social » tandis que Chavez, démagogue, se présentait comme un libérateur.

 

Quelle est l’influence du chavisme en Amérique latine ?

Le chavisme, en Amérique latine, est tout à fait différent de la politique de Chavez au Vénézuéla. Elle a donné un souffle, a forgé une mystique, dont beaucoup de citoyens se sont inspirés. Chavez a été un moteur, une source d’imagination dont se sont emparés les laissés-pour-compte. Qui pleure aujourd’hui Chavez ? Ce sont les petits. Pour les Indiens en Bolivie, en Argentine, au sud du Chili, pour tous les paysans expropriés chaque jour de leurs terres afin que des multinationales américaines étendent de larges parcelles d’OGM, Hugo Chavez incarnait une légitimation de leur désir de justice sociale. Je déplore son usage manichéen de la politique, qui entrave toute réforme solide. Mais être anti-chaviste signifie, a contrario, être sur la rive d’en face, celle de l’oligarchie patricienne.

 

Qu'entendez-vous par « manichéisme » ?

Une anecdote pour comprendre. Je me souviens, après le 11 septembre, avoir vu sur une petite place, dans une ville perdue de Bolivie, un homme vendre des foulards à l’image de Ben Laden ! Ces laissés-pour-compte sont pourtant des partisans de la justice sociale, militant pour la liberté démocratique. Mais leur sentiment d’injustice et de haine envers l’Occident colonisateur les fait adhérer à des figures guerrières. Ces dirigeants qui incarnent des dérives autocratiques, les Kadhafi, les Ahmadinejad et autres, passé la frontière vers le Sud, deviennent des opposants à l’impérialisme et à l’ordre mondial. Pour ces masses exploitées, auxquelles tout espoir a été retiré, ces « ennemis de leurs ennemis » apparaissent comme des alliés... Cette vision manichéenne condamne à un imaginaire idéologique très pauvre.

 

Qu’espérer pour le Vénézuéla ?

Souhaitons que les réformes les plus démocratiques de justice sociale menées par Chavez soient poursuivies : l’alphabétisation, l’accès aux soins… Mais, comme à Cuba, le risque est que le manichéisme entretenu par Chavez entraîne aujourd’hui des retournements violents.

Dans un souci démagogique, et parce que les changements structurels sont trop longs et difficiles, Chavez a érigé un système bolivarien[3] parallèle. Par exemple : un service de pédiatrie dans la maternité de tel quartier ne fonctionnait pas, car elle était tenue par un vieux patron de médecine, rétif à tout changement. Chavez ordonnait la création, tout juste à côté, d’une maternité gérée par le mouvement bolivarien, avec un général et des médecins cubains venus former des médecins vénézuéliens, financée à coup de subventions tirées de la manne du pétrole. Et l’Indienne qui ne parvenait pas à obtenir rendez-vous avec la sage-femme du quartier, pouvait aussitôt se faire suivre. En revanche, ce système ne modifie pas la structure du pays. Il demeure très fragile et dépendant des subsides du pétrole.

Pour espérer maintenir la paix sociale et engager une forme de progrès, il faudrait que les acteurs impliqués dans ces structures de formation bolivarienne alternative puissent petit à petit dialoguer avec les représentants des structures étatiques classiques, qu’il y ait un cheminement pour fusionner ces deux Vénézuéla qui existent de façon caricaturalement parallèle. C’est malheureusement un rêve rendu impossible par un excès d’idéologie, de par et d’autre.

 

Miguel Benasayag

 

Leave a Reply