Mauricio Macri, le coureur de fonds de l’Argentine

Après douze ans de politiques de gauche du kirchnérisme, l’Argentine a basculé à droite. «Un changement sans revanche», a promis Mauricio Macri, 56 ans, lors de sa première apparition en tant que président élu (52,11 % des voix contre 47,89 % à son adversaire de gauche, Daniel Scioli, soutenu par la sortante Cristina Kirchner). «C’est un jour historique, c’est un changement d’époque qui va être merveilleux», a-t-il ajouté dans un discours mesuré, presque plat, où il a remercié sa famille et sa secrétaire de toujours. Un style à l’exact opposé de celui, flamboyant, de la présidente Kirchner, habituée à galvaniser les siens lors de grand-messes. Une façon pour le vainqueur d’incarner un changement.

C’est autour de cet axiome qu’a été construite toute sa campagne : Cambiemos («changeons») est le nom de la force politique qu’il a créée pour accéder au pouvoir, une coalition des forces de l’opposition. «C’est la première fois qu’un chef d’entreprise gagne une présidentielle en Argentine, la première fois qu’il vient du monde des sports», observe l’économiste Rosendo Fraga. Avant d’être maire de Buenos Aires, Macri a conduit le prestigieux club de foot de la capitale, le Boca Juniors.

Usure. La victoire de Mauricio Macri est avant tout due à l’usure du pouvoir des Kirchner, après douze ans à la tête du pays. Quatre premières années mythiques de présidence de Néstor Kirchner (aujourd’hui décédé), synonymes de sortie de la pire crise que le pays ait jamais connue, de politiques sociales ambitieuses et de combat pour les droits de l’homme. Puis sont venus deux mandats de sa femme, Cristina, qui a radicalisé les positions de son mari et cristallisé autour de sa personne une dévotion de la part de quelques-uns et l’exaspération des secteurs les plus influents de la société. Macri et son équipe ont su capitaliser cette bronca et cette profonde envie d’alternance. La désignation, par la Présidente, du dauphin par défaut Daniel Scioli, ancien gouverneur de la province de Buenos Aires au bilan très mitigé, qui a été perçue comme un énième abus de pouvoir, a fait le reste. A tel point que c’est la première fois dans l’histoire argentine qu’un candidat libéral arrive au pouvoir par les urnes.

Les Kirchner ont pourtant joué à fond sur la peur du néolibéralisme, profondément ancrée dans l’ADN argentin après les noires années 90 et la présidence de Carlos Menem, qui a mené au chaos et à la ruine de 2001. Sans succès. Le président élu aura fort à faire après sa prise de pouvoir, le 10 décembre, en commençant par redresser et normaliser l’économie du pays, au bord de la récession après dix ans de forte croissance. «Et pour cela, il sera nécessaire de dévaluer le peso argentin, aujourd’hui très nettement surévalué, affirme l’économiste Rosendo Fraga. Graduellement ou d’un seul coup, il faudra en passer par cette période d’ajustement.»

Audit.
«Normaliser» l’Argentine, comme l’a scandé Macri durant sa campagne, passera aussi par un choc de transparence, après des années de gestion opaque des fonds publics et un hold-up des chiffres de l’économie nationale. Depuis la mise sous tutelle par le gouvernement de l’Indec, l’institut national de sondages, les chiffres officiels de l’inflation sont ainsi quatre à dix fois inférieurs à ceux relevés par des instituts indépendants. Les chiffres de la pauvreté dans le pays ne sont plus disponibles depuis deux ans. Et les caisses de l’Etat sont vides. Le contrôle de l’accès aux devises étrangères, la limitation des importations, les barrières douanières et les négociations avec les «fonds vautours» sont autant de chantiers qu’il faudra envisager. Sans majorité à la Chambre des députés, ni au Sénat, Macri va devoir composer et tisser des alliances pour pouvoir gouverner.

«En tenant les caisses de l’Etat, il peut obtenir le ralliement de gouverneurs ayant besoin de fonds publics et qui appelleront leurs parlementaires à appuyer le gouvernement», rappelle le politologue Gabriel Puricelli. Lors de sa première conférence de presse, lundi, Macri n’a pas manqué d’adresser un message aux gouverneurs de l’opposition péroniste : «Nous allons mettre le pays en marche et nous réunir avec les gouverneurs qui sont inquiets pour les économies régionales, pour l’emploi.» Le président élu a aussi annoncé la formation d’un «cabinet économique» de six ministres chargé d’un audit des comptes de l’Etat.

Autre point de rupture avec les Kirchner, alliés indéfectibles du régime chaviste, Macri a annoncé lundi qu’il allait demander l’exclusion temporaire du Venezuela du marché commun sud-américain, le Mercosur, lors du sommet du 21 décembre, «afin de protester contre les abus et la persécution des opposants politiques». Une promesse de campagne, puisqu’il avait exigé en octobre la libération du leader de l’aile radicale de l’opposition au Venezuela, Leopoldo López, dont l’épouse était à ses côtés dimanche.


Mathilde Guillaume

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