D’abord il y a l’histoire du père, Alfredo, vieux militant de la gauche marxiste en quête des documents compromettants – armes, livres, publications… – qu’il avait enterrés dans un jardin. C’était en 1976, au lendemain du coup d’état en Argentine qui avait porté le Général Videla et sa junte au pouvoir. Il finira par les retrouver, intacts, toujours soigneusement enfermés dans leurs sacs de plastique. Ils ont été récupérés lors du creusement d’une piscine dans ledit jardin. Seule surprise : une cassette inconnue sur laquelle est enregistrée une chanson révolutionnaire.
Ensuite, il y a l’histoire de son fils, Manuel, auteur d’El Rio, une pièce qu’il a créée il y a quinze ans. Désireux de la remonter, il découvre que cette œuvre est, depuis plusieurs mois, jouée un peu partout par un metteur en scène qui se fait passer pour lui.
À ces deux histoires s’en ajoute une autre – celle de Natalia. Rockeuse à l’enseigne des Révolutionnaires morts, elle connaît le succès en interprétant la fameuse chanson de la cassette inconnue, jadis composée par son père.
Mémoire reconstruite et identité
Racontées par l’auteur et metteur en scène Argentin Mario Pensotti sur le mode du récit, avec banc-titre indiquant les chapitres et les situations comme dans un livre, ces trois histoires composent Cuando vuelva a casa voy a ser otro (« Quand je rentrerai à la maison, je serai un autre »).
Si chacune se développe en une suite d’épisodes propres, elles ne s’en imbriquent pas moins. Ici, c’est le père seul face à lui-même, troublé par ce retour à ses vingt ans à travers ces reliques témoins de ses engagements de jadis – elles-mêmes bientôt utilisées par son fils à des fins politiques pour une campagne électorale. Là, c’est l’usurpateur, qui se retrouve in fine homme-femme intégré dans une troupe de travestis revisitant les chansons des Beatles… Quant à Natalia, elle échoue dans une émission de télévision du style Star Academy…
Sur deux tapis roulant lentement en sens inverse, les séquences alternent ou se télescopent, souvent kitsch, sur le mode de la mémoire reconstruite, de l’identité perdue et retrouvée, sinon réinventée dans la confusion du temps et des époques. Partout dans le monde, mais plus encore dans une Argentine à la démocratie fragile, à la société toujours en crise quinze ans après la chute de la dictature.
Questions sans réponse
Qui est qui ? Qui est-on soi-même ? Qu’est-on devenu ? Comment se vit le présent et se reconstruit le passé ? Quel est poids du collectif ? Les questions s’accumulent, laissées sans réponses. Signé par l’Argentin Mariano Pensotti, le spectacle, interprété en espagnol, n’est guère évident à suivre, d’autant que l’accumulation de surtitres empêche de se concentrer sur ce qui se joue sur le plateau. Il n’en est pas moins troublant. Un peu comme un roman du maître de la littérature argentine, Jorge-Luis Borges.
Didier Mereuze (à Avignon)