Dimanche, le stand du Centre National du livre a accueilli quatre auteurs argentins venus parler des expérimentations littéraires dans leurs pays. Tous originaires de Buenos Aires, il sont considérés comme les représentants de l'avant-garde argentine - un titre qu'ils se sont pourtant bien défendus de porter...
Qu'est-ce que la littérature expérimentale ? Qu'appelle-t-on un auteur expérimental ? Les quatre écrivains ont avant tout tenu à définir avec exactitude cette notion qui parait si claire aux français. « Lorsqu'on parle d'expérimentation on rentre dans un terrain très subjectif. L'écrivain ne pense pas d'emblée être dans l'expérimentation. C'est plutôt le critique ou l'éditeur qui vont le mettre dans cette case, simplement parce que le texte est excentrique », a expliqué Oliverio Coelho, avant d'ajouter : « En Argentine il y a une véritable tradition d'excentrique, plus qu'un désir d'expérimentation. On ne peut pas dire aujourd'hui que Borges est un excentrique, mais peut-être l'a-t-il été de son temps, alors qu'il n'avait nullement l'intention d'être expérimental. Il y a un malentendu là dessus. Ce que nous nous voyons chez lui, ou chez d'autre, c'est plutôt de l'originalité. »
Excentricité au sens de « ex-centré », en dehors du centre et qui vient de la marge, a précisé Damiàn Tabarovsky, diplômé de l'EHESS et auteur de Autobiografía médica. Samantha Schweblin a ajouté : « Lorsque l'on écrit, on cherche un nouveau terrain - un terrain qui sera sien. Si on ne trouve pas cette terre vierge, on ne peut pas vraiment écrire quelque chose de neuf. En ce sens, ce qu'on appelle expérimentation est la recherche d'un territoire vierge. » Les quatre écrivains se sont donc bien défendus de rechercher l'expérimentation en soi : l'expérimentation c'est la recherche de soi, qui permet de trouver sa propre langue. Dire l'inédit, dire le monde à partir de la marge de l'individu.
Chacun des auteurs s'est donc bien gardé de voir en lui quelque chose de neuf ou d'expérimental : modestie, ou refus de s'étudier ? Les deux. « Je pense que demander à un écrivain ce qu'il y a de nouveau ou d'expérimental chez lui est la chose la plus difficile. Peut-être même est-ce stérile pour un artiste d'adopter cette posture de réflexion, car dès lors qu'il réfléchit sur sa propre oeuvre, il cesse de produire. Finalement, le mot même “expérimental“ est évanescent », conclut Lucìa Puenzo.
Une fois de plus, un clivage entre deux façons de penser la littérature s'est fait jour. On se souviendra comment il avait déjà surgi lors du débat À quoi sert la poésie : à côté d'une école française dissertative qui pense sans cesse l'objet de son art, une école argentine plus instinctive, moins théorique, plus concentrée sur la création que la pensée de la création. « Au début, je voulais savoir ce qu'était l'humour. J'ai lu Freud, Bergson... Et puis, je me suis rendu compte que les marins ne se demandaient pas ce qu'était l'eau », avait par ailleurs dit Quino lors de sa remise de la Légion d'honneur ce samedi au salon.
Un clivage, une différence qui n'empêchent pourtant pas les auteurs argentins, de revendiquer leur dette à la littérature française. « Nous appartenons d'abord à une tradition argentine excentrique. Mais en fin de compte, nous nous posons la même question que Flaubert. Comment faire une bonne phrase ? Quelle est celle qui doit suivre ? » a remarqué Damiàn Tabarovsky, avant d'insister sur le poids de la tradition inlassablement novatrice française : « Comment peut on écrire un roman aujourd'hui après Flaubert, le Nouveau roman, et les expérimentations des années Soixante ? Que faire ? On ne pense pas à être différent ou original. On cherche d'abord sa propre voix. »
Pour ces auteurs, « Expérimentation littéraire » semble donc se définir à l'unanimité comme l'a dit Samantha Scweblin : la recherche d'une terre qui soit sienne. Et celui qui cherche le plus, alors peut-être est-il plus original qu'un autre... Quoi qu'il en soit, viser la nouveauté d'un point de vue théorique semble être une erreur proprement française. Après tout, comme l'écrivait Ionesco - un autre grand quêteur de terre vierge- le Moi absolu n'est-il pas l'universel ?
En partenariat avec l'Institut Français et Le Monde.
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