Les vertus thérapeutiques du tango

Maladies cardiovasculaires, Parkinson, Alzheimer… En Argentine, la danse au rythme du tango est de plus en plus utilisée dans l’arsenal thérapeutique, en prévention et en soutien psychologique.

Les vertus thérapeutiques du tango


Buenos Aires, 1 heure du matin. Sur la piste d’El Beso, l’un des bals tango qui électrisent la capitale argentine, Emilio mène la danse, les yeux mi-clos. À 72 ans, cet ingénieur à la retraite vient valser deux fois par semaine, souvent avec des partenaires plus jeunes que lui, parfois même beaucoup plus jeunes. Se faire inviter par un « ancien » est un honneur en Argentine, et ils sont nombreux à tanguer jusqu’à l’aube. « Ici, le seul temps qui compte est celui de la mélodie, je ne regarde pas ma montre », s’amuse Emilio, souliers vernis et chemise pourpre.
Le tango serait-il une fontaine de jouvence ? Depuis quelques années, des chercheurs se penchent sur la question et pointent ses multiples vertus, pour le corps comme pour l’esprit. Au point que de nombreux hôpitaux argentins l’utilisent désormais en thérapie.

C’est le cas de l’Hospital de Clinicas de Buenos Aires, qui a créé, il y a deux ans, un atelier tango pour des patients atteints de la maladie de Parkinson. Certains n’ont jamais dansé, d’autres sont des aficionados, comme Adolfo, 80 ans. Depuis l’adolescence, il fréquente les milongas (bals où l’on danse le tango). Quand il a découvert sa maladie, il a cru devoir renoncer à sa passion, avant de comprendre qu’elle serait une alliée. « La musique donne un élan magique », dit-il. Lui qui peine parfois à avancer, qui voit ses mouvements trop souvent bloqués, retrouve son agilité quand le vieux poste de l’hôpital se met à entonner les plaintes du bandonéon (instrument emblématique du tango) du célèbre compositeur argentin Anibal Troilo. « Le tango ne soigne pas la maladie, qui est dégénérative, mais il aide à ralentir ses symptômes », précise Leticia Lopez, médecin à l’hôpital.

La maladie de Parkinson touche des neurotransmetteurs qui permettent d’effectuer les mouvements automatiques, comme la marche ou le clignement des yeux. « Le tango stimule une mobilité non automatique, qui aide à compenser », explique le médecin. C’est ce que tend à montrer une étude réalisée par la faculté de médecine de l’université Washington de Saint-Louis (États-Unis).

Pour cette étude, certains patients suivaient des cours de tango, d’autres de gymnastique. Après une vingtaine de séances, des tests soulignaient une amélioration de la mobilité pour tous, mais les apprentis danseurs avaient davantage d’équilibre et coordonnaient mieux leurs gestes.

« Se laisser bercer par la musique relaxe et fluidifie les mouvements », souligne Rosa Zapata Farfan, danseuse qui anime l’atelier. De plus en plus d’unités gériatriques s’appuient donc sur le tango en prévention des chutes des personnes âgées, d’autres pour stimuler la mémoire, y compris avec des malades d’Alzheimer.

Selon une étude de la Fondation de cardiologie argentine Favaloro, la fréquence cardiaque atteint 60 % de sa capacité maximum en dansant le tango. En dessous, celui-ci travaille peu, au-dessus, il est trop sollicité, ce qui peut arriver avec le rock ou la salsa, par exemple.

En septembre dernier, le cardiologue Alberto Marani a d’ailleurs mis en place un atelier tango pour ses patients de l’Hôpital paroissien de La Matanza, une banlieue populaire de Buenos Aires. Tous ont eu des soucis cardiovasculaires, infarctus, pré-infarctus, chirurgie coronaire, angioplastie… En arrivant dans la grande salle des fêtes de l’hôpital, ils se font tour à tour prendre le pouls et la tension, puis s’échauffent en rythme. « La pratique régulière du tango permet de faire baisser les facteurs de risque pour les artères, le cholestérol, le diabète, la pression sanguine… En plus, elle développe de nouveaux canaux de circulation et permet une revascularisation naturelle », explique le Dr Marani.

La marche ou le vélo ont des effets similaires, mais la danse motive davantage les patients, qui ne sont que 15 % à suivre le parcours de réhabilitation classique. Depuis le début des cours, la classe de tango, elle, ne désemplit pas. « Cela me change des soirées passées seule devant ma télé et je rencontre de beaux jeunes hommes ! », plaisante Eva, 52 ans, dans les bras d’un infirmier.
Allier l’utile à l’agréable, une bonne formule pour soigner les cœurs brisés, au propre comme au figuré. Car si le tango est réputé mélancolique, cette danse en 2 × 4 temps semble plutôt mettre du baume à l’âme. En Argentine, pays où la psychologie est un sport national, est même né un mouvement de tangothérapie, initié par le psychiatre et psychanalyste Federico Trossero. Celui-ci organise en décembre un congrès international pour partager les expériences menées autour du tango. « Cette danse a la particularité de laisser une très grande part à l’improvisation. Il faut diriger et prêter une attention intime à son partenaire, c’est un bon point de départ pour explorer les difficultés relationnelles », explique le Dr Trossero dans son livre « Tangoterapia ». Un timide évitera, par exemple, l’enlacement ; un obsessif contrôlera ses mouvements, une personne atteinte de troubles obsessionnels compulsifs essaiera d’éviter de toucher son partenaire…

À l’hôpital Ramos Mejia de Buenos Aires, la psychologue Alba Balboni explore cette méthode avec un petit groupe d’habitants du quartier qui souffrent surtout d’isolement. Après le cours de danse, ils se réunissent en cercle, évoquent leur ressenti, à porte close. « Ici, je me sens écoutée », témoigne Maria Mercedes, tout juste retraitée. « L’enlacement, que la méthode Trossero encourage à pratiquer très serré, n’est pas seulement sensuel, commente Alba Balboni. À l’heure des communications virtuelles, il nous rappelle le contact initial et rassurant avec la mère, le père. Cet enlacement est notre câble avec la vie. »

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