Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, ce dimanche à Buenos Aires, d’importants défis économiques attendent le prochain chef de l’État argentin. Après douze ans de kirchnérisme, le pays sud-américain aborde «un tournant historique», pointe Juan-Carlos Rodado, de Natixis. «L’Argentine est devenue un cas d’école en matière d’erreurs de politique économique!», assène l’économiste.
La multiplication des taux de change témoigne des déséquilibres économiques. Se côtoient en effet le change officiel à 9,6 pesos pour 1 dollar, le «blu dollar» au marché noir à 15 pesos, un autre taux pour les cartes de crédit majoré de 35% et le «dollar soja» à 6,3 pesos.
Chute de la croissance
Pourtant, au sortir de la banqueroute de 2001, le pays a connu une décennie de forte croissance, caracolant en 2011 à 8,5
%, tirée par le moteur extérieur. L’Argentine est une grande puissance agricole exportatrice de matières premières, le soja en tête. La conjoncture mondiale morose, le ralentissement de la Chine et la récession au Brésil voisin qui se conjuguent au recul des cours mondiaux ne suffisent toutefois pas à expliquer la mauvaise santé de la deuxième puissance économique sud-américaine.
La croissance est tombée à 0,4
% en 2014, et si elle se reprend depuis quelques mois, c’est à la faveur des élections. «Le rebond vient de la modération des importations et surtout du soutien public pour cause de calendrier électoral», précise Daniela Ordonez, économiste d’Euler Hermes. La dirigeante populiste a creusé les dépenses publiques – de 24,6% à 40,3% du PIB entre
2007 et
2014 – et instauré un large éventail de subventions (électricité, transports, gaz…). «Des subventions souvent mal ciblées, juge l’expert de Natixis. La moitié bénéficie aux 30% les plus aisés.» Résultat, l’Argentine, qui affichait un excédent budgétaire en 2010, devrait finir l’année avec un déficit public de presque 5
% du PIB.
Manque de confiance
Les experts décrivent le cercle vicieux lié aux mesures de restriction prises ces dernières années – contrôle de change, taxes sur les exportations, barrières aux importations – qui n’ont cessé d’être renforcées pour pallier le manque de dollars. Le climat de défiance a accéléré les sorties de capitaux. Après le traumatisme de 2001, les Argentins n’ont plus aucune confiance dans leur monnaie, d’où l’explosion du billet vert au marché noir. Privé de l’accès aux marchés internationaux, le pays puise dans ses réserves internationales – divisées par deux depuis 2012, tombées à 26,4
milliards de dollars – pour financer ses importations. Buenos Aires a freiné l’an dernier l’hémorragie par un accord de «swap» (échange de devises) avec la banque centrale chinoise. «La Chine est aujourd’hui le principal bailleur de l’Argentine», souligne Daniela Ordonez.
Pour financer son déficit public, le gouvernement fait marcher la planche à billets, ce qui entretient la spirale inflationniste – 14,4
% selon le taux officiel en septembre, pas loin de 25
% selon les estimations privées –, aggravée par les restrictions aux importations. «Les industries locales rencontrent des difficultés à s’approvisionner en composants importés. La production a subi une contraction très forte et continue depuis 2012. Elle est de 10% plus faible qu’en 2013», illustre l’économiste d’Euler Hermes. À cela s’ajoute le problème du peso surévalué à cause du niveau d’inflation qui pèse sur la compétitivité, surtout face à la dégringolade du real brésilien.
Virage radical
Si Mauricio Macri, le candidat de l’opposition, conforte son avance du premier tour, le virage s’annonce radical. Il veut libéraliser l’économie, supprimer progressivement les mesures de contrôle étatiques. Il y aura resserrement budgétaire et monétaire. «Tous les supports fictifs de l’économie vont disparaître», résume Daniela Ordonez. Ces ajustements nécessaires auront un impact très dur à court terme, entraînant de fait une forte dévaluation du peso. Ainsi, le FMI table sur une récession l’an prochain. L’urgence, insiste Juan-Carlos Rodado, est de restaurer la confiance. le figaro