Dans la foulée de la majorité des pays européens, c'est au tour des Indiens Mapuche, en Patagonie argentine, de partir en guerre contre l'exploitation du gaz et du pétrole de schiste, accusée de provoquer d'irréparables dommages écologiques. A Buenos Aires, mardi 16 juillet, la compagnie pétrolière argentine YPF a signé un accord avec le géant américain de l'énergie Chevron pour l'exploration et la production d'hydrocarbures non conventionnels sur le gisement de Vaca Muerta (province de Neuquén, sud-ouest). C'est l'une des plus vastes réserves mondiales de gaz et de pétrole de schiste, selon l'US Geological Survey (USGS).
Le même jour, des dizaines de membres de l'ethnie Mapuche ont occupé deux puits de pétrole sur ce même gisement, obligeant à suspendre la production pendant vingt-quatre heures. "YPF est en train d'amener la pire entreprise du monde, qui est Chevron", a dénoncé Lefxaru Nahuel, dirigeant de la Confédération mapuche de Neuquén, qui regroupe une soixantaine de communautés indiennes.
Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet article habituellement réservé aux abonnés du Monde.fr.
Profitez de tous les articles réservés du Monde.fr en vous abonnant à partir de 1€ / mois | Découvrez l'édition abonnés
La lutte, a-t-il ajouté, "est surtout dirigée contre la technique de la fracturation hydraulique qui est polluante". Précisant qu'il s'agissait d'une "occupation pacifique", le cacique mapuche a affirmé qu'il "n'autoriserait pas l'entrée de Chevron sur les terres mapuche". "Cela ne doit pas être seulement la lutte des Mapuche, mais celle de tout le peuple argentin", a-t-il lancé.
GRAVE CRISE ÉNERGÉTIQUE
YPF a dénoncé "une réaction démesurée et sans fondement", plaidant que "les puits de pétrole ne se trouvent pas en territoire mapuche, mais sur des terres fiscales appartenant à l'Etat provincial de Neuquén". Dans un communiqué, la compagnie pétrolière argentine, qui produit du gaz conventionnel, affirme avoir signé un accord, il y a un mois, avec les Mapuche, s'engageant à respecter leurs communautés et l'environnement. "Il s'agit d'augmenter la production d'hydrocarbures pour assurer l'approvisionnement énergétique de tous les Argentins", selon YPF.
Après l'expropriation de la compagnie pétrolière espagnole Repsol et la renationalisation d'YPF, le gouvernement de Cristina Kirchner est confronté à une grave crise énergétique. La présidente argentine estime que l'accord avec Chevron permettra au pays de satisfaire ses besoins et de devenir exportateur d'hydrocarbures, d'ici à la fin de la décennie.
L'accord porte sur un investissement initial de 1,5 milliard de dollars (1,15 milliard d'euros) pour démarrer la première phase de développement dans les zones de Loma La Lata Norte et Loma Campaña, avec le forage de centaines de puits. Au total, les investissements prévus atteignent 15 milliards de dollars pour une concession de trente-cinq ans.
Le vice-président de Chevron, George Kirkland, s'est félicité d'un "investissement stratégique". Présentée comme une révolution, l'exploitation de gaz et de pétrole de schiste est considérée comme un des facteurs du redressement de l'économie américaine.
La fracturation hydraulique des roches implique la consommation de très grandes quantités d'eau, à laquelle sont ajoutés du sable et de nombreux adjuvants chimiques, d'où le risque de contamination des nappes d'eau potable.
Les Mapuche – dont le nom signifie "peuple de la Terre" – vivent pauvrement de l'agriculture et de l'élevage dans le sud de l'Argentine et du Chili. Des deux côtés de la cordillère des Andes, ils entretiennent des conflits, souvent violents, avec les grands propriétaires terriens et les multinationales – forestières, minières et pétrolières – qui occupent et exploitent des territoires ancestraux qu'ils revendiquent. On estime qu'ils ne sont pas aujourd'hui plus de 400 000 en Argentine, où ils ont été décimés à la fin du XIXe siècle, au cours de sanglantes campagnes militaires, considérées comme génocidaires par de nombreux historiens.
IGNORER LES DROITS DES INDIGÈNES
Les manifestants mapuche ont reçu le soutien de plusieurs partis politiques d'opposition, d'intellectuels, d'organisations de défense de l'environnement et des droits de l'homme.
Le Prix Nobel de la paix, Adolfo Perez Esquivel, emprisonné et torturé pendant la dictature militaire (1976-1983), accuse le gouvernement Kirchner de brandir l'étendard des droits de l'homme, mais d'ignorer ceux des indigènes. Il rappelle que Chevron a été condamné en Equateur en 2012, après près de vingt ans de bataille juridique, à payer une amende record de 19 milliards de dollars pour avoir contaminé un million d'hectares de forêt, affectant la santé de quelque 30 000 personnes. Chevron se refuse à payer cette amende.
En février, à la demande de l'Equateur, la justice argentine avait gelé les avoirs de Chevron en Argentine. Mais il y a quelques mois, sous la pression du gouvernement, la Cour suprême de justice a mis fin, à Buenos Aires, à ce gel.