Les Argentins face au contrôle des changes

Cette mesure très impopulaire a des répercussions négatives sur l’économie.



Les Argentins ont le sens de la métaphore. En 2002, la limitation des retraits bancaires avait été surnommée le corralito
(« petit enclos »). Dix ans plus tard, c’est le cepo
(« sabot »), strict contrôle des changes, qui provoque le mécontentement. Le 31 octobre 2011, face à la fuite des capitaux, le gouvernement de Cristina Fernandez de Kirchner a décidé de soumettre toute opération de change à l’autorisation de l’administration fédérale des revenus publics (Afip).

Le 5 juillet, il interdisait l’achat de dollars à des fins d’épargne. La monnaie américaine ne peut plus être utilisée que pour payer les importations, rembourser la dette extérieure ou pour le tourisme. Mais, même pour se rendre à l’étranger, les choses sont compliquées.

Lutter contre l’évasion fiscale

Luis en a fait les frais. Il avait prévu d’aller rendre visite à son frère aux États-Unis. Il a demandé l’autorisation d’acheter 1 000 dollars (755 €). « Or, je reçois la moitié de mon salaire au noir,
explique Luis. Mes revenus déclarés n’étaient donc pas suffisants. »
L’Afip ne lui a permis que d’en acheter 500. Il a obtenu le reste au marché parallèle, où le prix de la monnaie américaine s’est envolé.

Ne pas pouvoir épargner en dollars est vu par beaucoup d’Argentins comme une atteinte à la liberté. « Les gens sont encore traumatisés par les années d’hyperinflation à 200 % par mois »,
rappelle Jorge Oviedo, journaliste économique du quotidien conservateur La Nacion.
Le 8 novembre dernier, entre 70 000 et 500 000 personnes, selon les sources, sont descendues dans la rue, en grande partie pour protester contre le « sabot du change »
.

« Si l’on ne prend en compte que les difficultés pour aller à Miami, on rate la vision d’ensemble nécessaire pour comprendre ces mesures,
analyse Oscar Tangelson, ancien secrétaire d’État à la politique économique de feu le président Nestor Kirchner. Lier les dépenses aux ressources et exiger des déclarations de revenus pour acheter des dollars est une bonne chose pour lutter contre un fléau de notre pays, l’évasion fiscale. »

L’impact de la crise énergétique

Selon Jorge Oviedo, le contrôle fiscal n’est qu’une excuse. Le véritable objectif, selon lui, est d’éviter une fuite des capitaux, car il n’y a plus assez de dollars dans les caisses. Comment le pays en est-il arrivé là, alors qu’il y a quelques années, il se targuait d’avoir des réserves de devises suffisantes grâce, notamment, aux exportations de soja ?

« L’origine de tout est la crise énergétique,
explique Jorge Oviedo. Après la dévaluation de 2002, le gouvernement a gelé les prix du pétrole, du gaz et de l’électricité, car la population n’aurait jamais pu payer les factures autrement. La production a commencé à chuter, et l’Argentine, qui jusque-là exportait du gaz, s’est vue dans l’obligation d’en importer. Une mesure d’urgence – importer plus cher ce qui pourrait être produit ici – s’est pérennisée. Et a emporté tout l’excédent commercial. »

Le recours impossible aux crédits internationaux 

Pour Oscar Tangelson, les raisons de la situation sont à chercher à l’extérieur : « Nous sommes dans un contexte de crise internationale. Maintenir nos réserves et un faible taux d’endettement est essentiel pour éviter de sombrer comme beaucoup de pays européens. »

D’autant plus que depuis qu’elle a fait défaut sur sa dette il y a dix ans, l’Argentine n’a plus accès aux crédits internationaux et ne peut compter que sur elle-même. Et de rappeler un chiffre parlant : si, en 2002, la dette représentait 130 % du PIB, elle n’en représente plus que 30 % aujourd’hui.

Le contrôle des changes est loin d’être inoffensif. Les secteurs de l’immobilier, de la construction et de l’automobile connaissent un net recul, et le chômage a légèrement augmenté. Si le gouvernement table sur une croissance avoisinant les 5 % pour 2012, certains économistes la situent autour de 2 % (contre 8,9 % en 2011). Mercedes Marco del Pont, présidente de la banque centrale, a prévenu, le 24 décembre, que le « sabot »
serait maintenu en 2013.

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