Parmi les meilleurs joueurs de la planète, si ce n’est le meilleur, Lionel Messi peine à devenir prophète en son pays. La faute à l’ombre d’El pibe de oro qui plane sans cesse autour de ses potentiels successeurs. Finalement, il ne manque au lutin du Barça qu’une Coupe du Monde pour dépasser son aîné. Au moins sur le papier. Pour y parvenir, il prend le couloir droit de nos 23.
Les traits sont grossiers, le visage presque méconnaissable. Dans un quartier de Rosario, Diego Armando Maradona squatte un grand mur de béton, souriant et convaincu. À l’ouest de la ville, des gamins s’affrontent sur un simili playground, maillots des Newell’s Old Boys sur le dos. Peu savent qu’un quadruple Ballon d’Or a grandi à quelques encablures de là, près d’une vieille zone portuaire. Dans l’imaginaire des auteurs de guides touristiques, qui aiment à voir les lieux tels qu’ils devraient être plus que tels qu’ils ne le sont, un amour véritable lie Rosario à sa progéniture la plus célèbre, Leo Messi.
Les nuances existent, jusqu’à parfois noircir un peu le tableau. Messi, c’est l’histoire plus ou moins vraie — mais sans cesse rabâchée — d’un petit génie argentin, forcé de quitter son pays pour s’installer à Barcelone. Là où on peut lui payer le traitement pour guérir ses problèmes de croissance et où il connaîtra un succès féerique. C’est aussi celle d’un gamin qui a mis l’Europe à ses pieds sans jamais réussir à conquérir ses propres terres. En Argentine, la passion est brulante, mais se mérite. Il est parti tôt, tout seul, quand tant de coéquipiers de la sélection nationale étaient couronnés prophètes par les hinchas de Boca ou de River Plate.
Monde à part
À Rosario, chez lui, son visage apparaît rarement sur les fresques murales. On ne vient pas non plus en pèlerinage calle Estado de Israel, où habitaient ses parents. Le peuple argentin attend de Messi qu’il démontre qu’il est bien l’un des leurs. Pour devenir une idole, une vraie, il doit lui faire gagner la Coupe du Monde. « Le rêve d’un homme fait partie de la mémoire de tous », écrivait le mythique auteur de Buenos Aires, José Luis Borges. Maradona, lui, était déjà une star avant de gagner le Mondial en 1986. La comparaison est trop évidente pour être éludée. Parce que les similitudes dans le jeu sont flagrantes. Leurs différences dans la vie, elles, sont gigantesques. L’un avait l’âme d’un leader, l’autre peine à exister en dehors d’un terrain de foot. À Rio, quand le monde s’arrêtera pour le voir jouer, il lui faudra proposer quelque chose de plus que son habituel récital et dépasser ses dernières barrières. Sans doute ce petit supplément d’âme qui vient des tripes. Pour savoir si, enfin, il est capable de porter le poids de toute une nation sur ses frêles épaules. Au Barça, des champions du monde jouent pour l’enfant-roi chaque week-end. Avec l’Argentine, il doit prendre la responsabilité d’être celui qui permettra aux siens de redevenir champions du monde, presque trente ans après Mexico.
En Afrique du Sud, déjà, ce devait être son Mondial. Pendant la compétition, Leo Messi faisait chambre commune avec Juan Sebastián Verón. L’ancien joueur de la Lazio et de Manchester United raconte avoir vu son ami nerveux une seule fois pendant la compétition : la veille, Diego Maradona lui avait proposé le capitanat pour le dernier match de poule contre la Grèce. Ce n’est pas tellement le poids symbolique que peut représenter le port du brassard qui lui mit la trouille. Non. Simplement, Messi était effrayé à l’idée de devoir faire un discours devant ses coéquipiers. Dans un vestiaire, la Pulga n’a jamais un mot plus haut que l’autre. Les journalistes espagnols qui le côtoient évoquent régulièrement le défi que représente une interview. Au mieux, il expédiera trois banalités, la tête penchée, presque honteuse. Maradona, lui-même, dit un jour, sur le ton de la rigolade qu’il était plus facile de demander une entrevue à Dieu que d’entendre Messi répondre au téléphone. Il est comme ça, Leo. Au fond, il restera toujours ce gamin qui demandait à sa copine de classe Cinthia de poser les questions pour lui. À l’époque, ses instituteurs avaient conseillé à ses parents de l’envoyer chez le psy. Si la vie pouvait être comme l’une de ses parties de Playstation où il excelle, tout seul, Leo Messi s’en porterait sans doute très bien. Enfermé dans son monde, il est chez lui sur un terrain, imperméable à la pression du regard des autres. Tito Vilanova, qui l’a vu grandir, disait de lui qu’il joue aujourd’hui exactement comme quand il avait treize ans.
L’homme providentiel
Pourtant, Alejandro Sabella lui a définitivement confié le capitanat en 2011. Le sélectionneur de l’Argentine le rêve leader technique, plus guide que maître. L’exemple de Zidane à la Coupe du Monde en Allemagne est parfois cité. Jamais, au fond, on ne lui donnera complètement les clés de l’Albiceleste comme on l’a fait au Barça. En Catalogne, il a suffi d’un SMS à Guardiola pour que celui-ci lui évacue, entre autres joueurs qui l’ont côtoyé ces dernières années au sein de l’attaque Blaugrana, ce grand Zlatan qui commençait à lui faire de l’ombre. Après tout, Leo Messi finit toujours par faire gagner ses équipes.
Depuis bientôt de dix ans, il régale le Camp Nou. Un maillot sur les épaules, il est cet homme de la terre qui va cultiver sa gloire à la sueur de son front. Une histoire parfumée d’une touche de romantisme sud-américain. Cela a toujours été comme ça. Au siège du club des Newell’s Old Boy, des photos rappellent la destinée glorieuse de la Maquina 87. Messi avait une douzaine d’années, à peine. Il s’est construit là, sur les terrains de quartier, comme beaucoup d’enfants des classes populaires en Argentine. Il n’y avait pas de place pour autre chose que la famille, les copains et le foot. Déjà, il était le petit qui faisait systématiquement la différence. Cette saison-là, l’équipe remporte tous ses matchs, sans faire de détails. Le jour de la grande finale, la légende raconte que Leo Messi resta enfermé dans la salle de bain. Le match commença sans lui. À la mi-temps, son équipe était menée 1-0. Son père finit par briser la vitre de la salle de bain pour lui permettre d’aller au match. Ce jour-là, Messi marque trois buts, et repart avec la bicyclette offerte aux vainqueurs du championnat. L’histoire s’écrivait déjà. Deux ans plus tard, il prend cette habitude qu’il conservera sans doute toute sa carrière. Ce regard vers le ciel, les deux index levés. Une pensée pour sa grand-mère, qui a disparu lorsqu’il avait dix ans. Atteinte de la maladie d’Alzeihmer, elle ne reconnaissait plus son petit-fils à la fin de sa vie. Il n’a jamais vraiment changé, finalement.
Des matchs à la récréation dans la cour de l’école des quartiers aux puissants clubs qui animent le mercato, tout le monde rêve d’avoir Messi dans son équipe. Un petit gars qui, quoi qu’il arrive, aura sa place parmi les géants au Panthéon du foot mondial. Et peut-être, un jour, sur les murs délabrés des quartiers populaires des grandes villes de son pays. À la droite de Maradona. « Leo ne jouait jamais mal, se souvient Julio Grandona, président de la fédération argentine, à propos de la Maquina 87. Les autres non plus. Ils étaient tous pour Messi. Et il était leur messie à eux ».
Open all references in tabs: [1 - 10]