par Alexandra Ulmer
SANTIAGO (Reuters) - Du Mexique au Chili, les Latino-Américains se réjouissent que le pape François soit un des leurs, mais les autres catholiques ne se montrent pas forcément aussi enthousiastes.
Certains présentent le cardinal argentin Jorge Bergoglio comme un conservateur, à l'image de son prédécesseur Benoît XVI.
Mais en Amérique latine, on se réjouit que les cardinaux électeurs soient allés le chercher "au bout du monde", selon ses propres termes.
"Enfin !", disent en résumé la plupart des habitants d'un continent où vivent 42% du 1,2 milliard de catholiques. L'Europe, qui avait fourni à l'Eglise tous ses chefs spirituels depuis 1.300 ans, ne représente que 25%.
"C'est une bonne nouvelle pour toute l'Amérique latine, pas seulement pour l'Argentine", estime Claudio Gimenez, chef de l'Eglise du Paraguay.
Certains ne poussent pas la réflexion plus loin. "Je suis heureux car un nouveau pape européen, cela aurait été un peu comme manger le même pain tous les jours", dit ainsi Martin Rodriguez, un chauffeur de taxi de Mexico.
D'autres sont persuadés que ce nouveau visage imprimera un nouveau style à l'Eglise tout entière.
"Un Latino est plus ouvert que les autres, alors qu'un Européen est plus fermé. Un changement comme celui-là est important pour nous, Latino-Américains. (Le pape sera) plus ouvert, plus honnête", assure Ana Solis, une infirmière à la retraite de Santiago, au Chili.
Le pape François va devoir s'atteler à la réforme d'une Curie en proie à des luttes d'influences, toujours affectée par les scandales de moeurs et de pédophilie.
"Nous prions pour qu'il ait la force, la santé et l'influence spirituelle nécessaires pour relever les nombreux défis de l'Eglise catholique", a déclaré le Premier ministre irlandais, Enda Kenny, résumant le sentiment de beaucoup.
Il avait accusé il y a deux ans le Vatican de faire obstacle à l'enquête sur les prêtres pédophiles.
"NOUVEAU CHAPITRE"
Le 266e pape devra en outre faire face à la progression de l'athéisme en Europe et rassurer une communauté musulmane marquée par les propos critiques de son prédécesseur au sujet de l'islam.
"Nous pensons que le nouveau pape comprendra mieux pourquoi, dans l'islam, on a tendance à adopter une attitude négative à l'égard de l'Occident, parce qu'il est lui-même d'un pays en développement", s'est félicité Slamet Effendy Yusuf, président du Conseil des oulémas d'Indonésie, pays musulman le plus peuplé.
"J'espère que le nouveau pape (...) préférera le dialogue à la confrontation. Nous pensons qu'il s'agit d'un nouveau chapitre dans l'histoire des relations entre musulmans et catholiques", a-t-il ajouté.
Beaucoup restent toutefois perplexes en raison de l'âge de François, 76 ans.
"Je crois qu'ils (les cardinaux) ont raté une occasion de se renouveler", déplore Daniel Villalpando, un créateur de sites internet mexicain de 32 ans.
"Il n'est plus très jeune", note lui aussi le père Francis Lucas, membre de la conférence des évêques philippins.
Le Cardinal Luis Tagle, archevêque de Manille âgé de 55 ans, faisait partie des prétendants à la succession de Benoît XVI, qui a renoncé au trône de saint Pierre le 28 février en invoquant son âge.
"PAS UN GRAND LIBÉRAL"
Jésuite conservateur, le cardinal Bergoglio est connu pour son engagement en faveur des plus démunis. Le nom qu'il a choisi fait référence à saint François d'Assise, fondateur au XIIIe siècle de l'ordre des franciscains qui fit voeu de pauvreté.
Certains, comme le jésuite James Bretzke, professeur de théologie à l'université de Boston, estiment toutefois que les changements se limiteront au style.
"Ce ne sera pas un grand libéral. Il n'y aura pas de grand bouleversement dans les enseignements de l'Eglise. Il a la réputation d'un conservateur inflexible", dit-il.
Barack Obama, qui lui a adressé ses voeux immédiatement après son élection, a néanmoins vu en François le "défenseur des pauvres et des plus vulnérables".
L'élection d'un pape issu du "nouveau monde" est un événement historique, a souligné Julia Gillard, chef du gouvernement australien, qui a ordonné l'ouverture d'une enquête nationale sur des affaires de pédophilie, notamment au sein de l'Eglise.
Ban Ki-moon, secrétaire général de l'Onu, a souhaité qu'il continue à promouvoir le dialogue inter-religieux.
A Cuba, où les relations entre le régime communiste et l'Eglise catholique s'améliorent après des décennies de tensions, le président Raul Castro a lui aussi adressé ses félicitations au pape François.
Au-delà de l'émotion, l'événement a suscité l'ironie sur les réseaux sociaux, où la passion du souverain pontife pour le football est relevée. Certains parlent de la "main de Dieu" pour expliquer son élection, évoquant le but de Diego Maradona en quart de finale de la Coupe du monde en 1986 au Mexique.
Tangi Salaün et Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Gilles Trequesser