L’effet Bosman (1996-2002)

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L’effet Bosman (1996-2002)

vendredi 19 juillet 2013 - 07:17 - par Sylvain 3
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Effectifs à géographie variable. Sous l’effet de l’arrêt Bosman, qui abolit les quotas de joueurs issus des pays communautaires dans les championnats de l’Union européenne, le Stade rennais commence à s’internationaliser après 1996. Une période d’adaptation marquée par quelques errements sur le marché des transferts...

Révolution juridique

Le 15 décembre 1995, la Cour de justice des communautés européennes rend un jugement qui va bouleverser le monde du football, et qui a encore de fortes répercussions aujourd’hui. Mis en place depuis des décennies, les quotas de joueurs étrangers dans les clubs européens volent en éclat. Désormais, les clubs de l’Union européenne peuvent aligner, de façon illimitée, des joueurs issus de ses pays membres. Une révolution qui va s’amplifier dès 2002 avec l’arrêt Malaja, qui élargit cette liberté au reste des pays européens, ainsi qu’à la plupart des états africains [1].
Une évolution qui modifie considérablement la donne dans le championnat de France. Car ses meilleurs joueurs vont très vite s’orienter vers les grands clubs italiens, anglais, espagnols ou allemands. Chez les jeunes, les centres de formation français sont également la cible des clubs étrangers, à l’image d’un Jérémie Aliadière qui rejoint Arsenal en 1999 suite à sa préformation à l’INF Clairefontaine, ou, à Rennes, des cas Ousmane Dabo et Mikaël Silvestre, partis à l’Inter Milan en 1998, sans avoir signé pro.

Corneliu Papură, premier joueur roumain de l’histoire du Stade rennais

Dès l’été 1996, le Stade rennais commence à s’adapter à ces changements. Quatre étrangers rejoignent la Bretagne : la paire écossaise Allan Johnston - Gary Smith, le Roumain Corneliu Papură et le Norvégien Kjetil Rekdal. Ils sont suivis, l’été suivant, de l’Italien Marco Di Costanzo, des Allemands Bernd Hobsch et Patrick Weiser, ainsi que des Marocains Abdelkrim Jinani et Youssef Rossi.
Tous ces recrutements amorcent une hausse de la présence étrangère dans l’effectif rennais. Ils ne signifient pas, pour autant, une hausse qualitative, car peu d’entre eux parviennent à convaincre. Il est vrai que le reste du recrutement, opéré en France, n’est guère plus convaincant (Philippe Lévenard, Pierre Maroselli, Pascal Bedrossian...), malgré quelques exceptions notables (Stéphane Guivarc’h, Stéphane Grégoire...).
Puis, en 1998, François Pinault devient propriétaire du club, rachetant les parts des différents partenaires de la SEM. S’il n’offre pas tout de suite à son club les moyens de ses (grandes) ambitions, le milliardaire breton a, d’emblée, un impact positif sur le Stade rennais. Le mercato se concentre sur des joueurs de nationalité française, avec quelques très bonnes pioches (Dominique Arribagé, Christophe Revault, David Sommeil), avec une seule exception étrangère. Mais quelle exception ! Recruté dans les rangs du FC Zurich, le Congolais Shabani Nonda va vite prendre place aux côtés des meilleurs attaquants ayant évolué au club.

La fièvre de l’an 2000

Deux ans plus tard, le Stade rennais s’offre en l’an 2000 l’un de ses étés les plus mouvementés. Après avoir goûté, un an plus tôt, à l’ivresse européenne en affrontant la Juventus, le club veut s’affirmer davantage sur la scène nationale, et recrute pour cela, à prix d’or, quelques « vedettes » sudaméricaines, dilapidant ce qu’avait rapporté le départ de Nonda pour l’AS Monaco. Dans l’affaire, le Stade rennais exploite de façon détournée les effets de l’arrêt Bosman, via notamment le système de double nationalité. Car, si le défenseur César est brésilien et l’attaquant Mario Turdo argentin, les deux possèdent également un passeport italien, donc communautaire, qui les exclut des quotas.
Un système de double passeport largement utilisé par les clubs français à l’époque, et qui va déboucher sur l’un des plus gros scandales ayant touché la Ligue 1 ces quinze dernières années. Convaincue d’avoir aligné deux Brésiliens possédant un faux passeport portugais (Alex et Aloisio) et un Ukrainien possédant un faux passeport grec (Maxim Levytsky), l’AS Saint-Étienne verra ainsi sa saison 2000-2001 plombée par cette affaire, écopant de points de pénalité finalement annulés en appel. Quant au Stade rennais, si ses deux joueurs font l’objet d’une enquête, il se sort sans encombre de cette affaire.

Composition des effectifs 1996-2002Réalisation : Mathieu Garnier / @matamix

Au final, l’effectif rennais s’internationalise, mais encore de façon mesurée. La part des joueurs étrangers passe tout de même de 19,3 % sur la période 1987-1996 à plus du quart sur 1996-2002 (25,3 %).

Les joueurs issus de la Bretagne, et plus largement du Grand Ouest, sont eux en fort recul. Seuls 21 % des joueurs utilisés sont ainsi nés en Bretagne, et 31,4 % dans l’ensemble du Grand Ouest, Des scores qui sont, déjà, les plus faibles de l’histoire du club, bien loin de l’âge d’or régional des années 1950-1960. Effet direct de l’essor du centre de formation, quelques uns des éléments produits par le club sont de purs franciliens (à l’image de Sylvain Wiltord, Fabrice Fernandes ou Jean-Félix Dorothée), chose quasi-inimaginable quelques années plus tôt.

À l’inverse, les Bretons qui intègrent l’effectif pro sont de plus en plus issus strictement du centre de formation rouge et noir. Une tendance qui va en s’accroissant, malgré quelques exceptions, comme Philippe Brinquin ou Christophe Le Roux. Le vœu de François Pinault, qui souhaitait, à son arrivée, que son équipe ait une dominante bretonne, est en tout cas vite effacé.

Carte interactive

La carte interactive ci-dessous présente les lieux de naissance des 87 joueurs ayant disputé au moins un match professionnel avec le Stade rennais de 1996 à 2002.

Réalisation : Mathieu Garnier / @matamix. ArcGIS API for Javascript.
(Affichage variable selon le navigateur utilisé)

Zoom sur... le Stade rennais et l’Amérique du Sud

Le Stade rennais n’a jamais été un grand amateur de joueurs sudaméricains. On a d’ailleurs coutume de dire que ceux-ci, en particulier les Brésiliens, n’ont jamais réussi sous les couleurs rouges et noires. Une affirmation relativement exacte, mais qui doit aussi à leur faible nombre, tout au long de l’histoire du club.

Le Stade rennais et l’Amérique du SudRéalisation : Mathieu Garnier / @matamix

Jusqu’en 1990, la plupart des Sudaméricains ayant évolué au Stade rennais sont Argentins d’origine. Une tradition qui dépasse le simple contexte rennais, puisque les joueurs albiceleste sont, de très loin, majoritaires parmi les sudaméricains ayant évolué comme professionnels en France [2]. Dès la période d’avant-guerre, le milieu Carlos Volante et l’attaquant Attilio Bernasconi évoluent ainsi sous les couleurs rennaises, et grossissent un contingent argentin qui atteint une petite vingtaine d’unité entre 1932 et 1939. Recrutés, l’un comme l’autre, dans les rangs du Torino, les deux joueurs évoluent ensuite dans d’autres clubs français. Bernasconi s’installera même définitivement près de Lille.
À cette époque, les autres pays de la lointaine Amérique du Sud ne sont pas présents dans le championnat de France. Seuls deux Brésiliens font exception : Antonio Borges, qui évolue à Cannes, Alès et Antibes (1934-1939), et Jaguaré Vasconcellos, gardien de but de l’Olympique de Marseille (1936-1939).

Après guerre, si la filière brésilienne est davantage exploitée par les clubs français, peut-être encouragés par les résultats de la Seleção en Coupe du monde [3], si des Paraguayens et des Uruguayens font leur apparition en France dès les années 1950, l’Argentine reste encore largement le pays le plus exploité.
Comme vu précédemment, l’embargo de 1955-1966 sur les transferts de joueurs étrangers influe directement sur ce chiffre. Comme un prélude à l’affaire des faux passeports de 1999-2000, les clubs tricolores utilisent alors de façon massive les origines européennes des joueurs argentins, pour justifier d’une nationalité française parfois bien douteuse. S’il ne s’est pas hasardé à ces méthodes, ne recrutant aucun étranger durant cette décennie, le Stade rennais n’aura engagé que des joueurs argentins jusqu’au début des années 1970. Outre Bernasconi et Volante, l’attaquant Juan Callichio, le milieu Héctor Toublanc et l’ailier Ricardo Cherini évoluent ainsi, sans grande réussite, sous le maillot rouge et noir.
En 1972, innovation, le Stade rennais recrute un premier joueur non-argentin : l’Uruguayen Juan Duarte, qui fait un passage discret en Bretagne, suivi en 1978 d’un Chilien, réfugié politique ayant fui la dictature de Pinochet, Fernando Lobos. Mais, durant cette période, le Sudaméricain qui dispute le plus de rencontres est encore un Argentin, en l’occurrence Oscar Muller, fils de l’ancienne gloire nantaise Ramon Muller.

Finalement, le Stade rennais attend 1991 pour céder à la mode brésilienne, qui s’était répandue de façon modérée dans l’hexagone, après-guerre. Le premier joueur auriverde à évoluer à Rennes est l’attaquant Baltazar, censé remplacer l’efficace François Omam-Biyik. Sacré meilleur buteur de la Liga deux ans plus tôt, sous les couleurs de l’Atlético Madrid, « O Artilheiro de Deus » [4] n’a pas le même rendement en Bretagne. Il marque six buts - dont deux penalties - de juillet à novembre 1991, avant de s’éteindre totalement ensuite. Une expérience mitigée qui n’incite pas les dirigeants rennais à la renouveler. Du moins, pas avant le fol été de l’an 2000.

Le Stade rennais version auriverde en 2000De g. à d. : Severino Lucas, Luis Fabiano, Vânder, César.

Car en l’espace de quelques semaines, ceux-ci recrutent alors pas moins de cinq sudaméricains, presque autant que lors des quatre décennies précédentes. Un investissement conséquent sur le marché des transferts, supérieur à 40 millions d’euros [5], pour un résultat sportif catastrophique. Le coût de son transfert pèse sur les épaules d’un Severino Lucas loin d’être le « futur Ronaldo » annoncé, tandis que l’Argentin Mario Turdó, éternel blessé, peine à justifier la confiance que lui avait accordé le club. César et Vânder font un passage sans grand relief en Bretagne, alors que le jeune Luís Fabiano, qui fera la plus belle carrière parmi ces cinq joueurs, ne parvient pas à s’adapter.

Aujourd’hui encore, ce sont ces noms qui reviennent principalement lorsque l’on évoque les joueurs sudaméricains passés par le Stade rennais. Les symboles d’une époque de gaspillage, qui illustrent les relations difficiles qu’entretient le club avec ce continent.
Depuis, sur la période 2002-2013, le Stade rennais a recruté un nombre quasi-équivalent de Sudaméricains. Toujours avec des résultats très mitigés, qu’il s’agisse des Brésiliens Adailton, Dudu Cearense et Emerson, de l’Argentin Gabriel Loeschbor ou de l’Uruguayen Andrés Fleurquín. Finalement, le joueur de ce continent à avoir le mieux réussi en rouge et noir est sans doute le Colombien Víctor Hugo Montaño, qui entame sa quatrième saison en Bretagne [6]. Un constat qui en dit long...

La semaine prochaine, dernier épisode de la série avec la période 2002-2013.

Sources :

Bibliographie :
 Marc Barreaud, Dictionnaire des footballeurs étrangers du championnat professionnel français (1932-1997), Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces et Temps du Sport », 1998, 319 p.

Webographie :
 Site web de la Fédération française de football
 Site web de la Ligue de football professionnel
 Playerhistory
 Footballdatabase

Photos :
 srfc.frenchwill.fr

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