Contrairement au style portègne typique (baratineur, frimeur, narcissique et paresseux) en politique (et pas qu'en politique...) Daniel Scioli a une personnalité plutôt introvertie. C'est au départ un apparatchik néo-péroniste d'origine bourgeoise (variété apparue dans les années Menem, en rupture d'avec le péronisme « canal historique » dont l'archétype reste le feu dirigeant A. Cafiero) dont la solidité, le calme, la connaissance du milieu de la télévision privée et l'absence apparente d'ambition avaient séduit Kirchner au point d'en faire son vice-président puis de l'installer à la tête de la province de Buenos Aires, à charge pour lui de terminer le déboulonnage de Duhalde et de rallier les troupes au panache K.
Pour le meilleur et pour le pire, son approche de la politique est assez similaire à celle de Chirac et Hollande: procrastination, voire inaction, et recherche du consensus le plus large au sein du parti puis de la société font partie de son style. Dans la présente course à la présidence il tient la corde en se mouillant le moins possible, appliquant la maxime édictée autrefois par la marionnette de Chirac aux Guignols de l'info (« Je ne bouge pas, car si je bouge je perds. Mangez des pommes! »). Sa stratégie électorale consiste à projeter l'image du changement dans la continuité, de façon à faire prendre l'habituelle mayonnaise péroniste en émulsionnant le kirchnérisme centralisateur « unitaire » avec les caudillismes provinciaux « fédéralistes ». Sa base électorale est constitué en premier lieu des classes populaires attachées aux acquis sociaux du kirchnérisme, mais aussi d'un large pan des classes moyennes productives. Contrairement à ce que serinent dans la presse bourgeoise les porte-parole auto-proclamés de l' « Argentine qui travaille », mes échanges récents avec des amis et parents appartenant à la classe moyenne méritocratique locale tant de Buenos Aires que de Patagonie montrent à la fois une détestation prononcée de l'affairisme et de la vulgarité de la présidente Cristina Fernandez, et une adhésion au modèle économique et social dont Scioli propose grosso modo la continuation: un cocktail de soutien contra-cyclique à la consommation populaire (au prix d'un déficit fiscal du même ordre de grandeur que celui que nous avons en France, et d'un taux d'inflation de l'ordre de 25 à 30% par an depuis 3 ans) et de politique de réindustrialisation auto-financée (du fait de la fermeture des marchés financiers depuis ledéfaut de 2002), dans la tradition nationaliste remontant aux années 30 de tentatives (assez désordonnées et parfois contradictoires) de substitution des importations.
Contrairement à Scioli, Macri est un portègne typique, mélange de football (il fut président de Boca Juniors et continue d'y faire allusion dans ses spots de campagne), de dilettantisme, car ce gosse de riche donne le sentiment de faire de la politique pour s'amuser sans jamais approfondir personnellement un dossier, d'affairisme pour enrichir ses copains entrepreneurs (et en particulier N. Caputo), et d'opportunisme: les zigzags récents de sa ligne politique sont pilotés par son gourou communicationnel Duran Barba, mélange de J.Séguéla et de K.Rove (le très cynique conseiller en communication de G.W. Bush).
Dans la course à la présidence, il joue le rôle du candidat de droite servant de faire-valoir au péronisme centriste de Scioli. Il a récemment ajouté quelques touches sociales et étatistes à son discours (car comme chez nous, la présidentielle se joue comme une course au centre) mais il reste pour l'essentiel le candidat de l'oligarchie agraire, de la finance et des professions libérales.
Son programme consiste à satisfaire les marchés financiers internationaux (au risque d'affaiblir la position des gouvernements actuels et futurs dans les négociations, il a déclaré de manière assez irresponsable qu'il fallait payer intégralement les fonds vautours, avant de faire en partie machine arrière) et les gros exportateurs agricoles en réduisant les taxes et en laissant monter le dollar pour abaisser le coût relatif de la production locale par effet de change (le résultat, non affiché publiquement, de ce genre de politique, serait un sévère ajustement pro-cyclique du type de ce que la Troïka a infligé à la Grèce suivi d'une relance de l'endettement externe... jusqu'au prochain défaut).
Quant à Massa, il vise surtout à recruter les classes moyennes et populaires fragilisées par la précarité et la peur du déclassement (c'est très net dans son discours sur l'insécurité) et surtout les retraités: il s'est d'ailleurs constitué un socle dans cet important segment de l'électorat à l'époque de son passage à la direction de l'ANSES, la Sécurité Sociale argentine (en bon démagogue péroniste, il dialoguait en direct de manière parfaitement superficielle à la radio avec les petits vieux, et ma belle-mère, et bien d'autres retraités, le trouvaient très bien, ce jeune homme).
En terme de profil personnel, c'est un mélange de Sarkozy (démagogie hyperactive et tous azimuts) et de Macri (application des recettes économiques libérales par délégation à des « experts » censés résoudre les problèmes par des mesures énergiques.)