S’il en était besoin, le soja fournit une nouvelle preuve de l’imperfection des marchés. Le monde croule sous des récoltes record grâce à une augmentation des emblavements, une hausse des rendements et une météo idéale.
Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet article habituellement réservé aux abonnés du Monde.fr.
Profitez de tous les articles réservés du Monde.fr en vous abonnant à partir de 1€ / mois | Découvrez l'édition abonnés
Résultat : plus de 287 millions de tonnes de graines sont annoncés pour la campagne 2013-2014, alors que l’on ne dépassait pas 270 millions au cours des précédentes. Les stocks pourraient gonfler de 26 % cette année.
La théorie voudrait que les prix chutent en raison de cette offre pléthorique face à une demande qui vacille en Chine. La grippe aviaire H7N9 y a infecté 96 personnes et fait chuter d’un tiers les ventes de poulets à plumes blanches et de nombreux élevages, très consommateurs en soja, ont fermé.
RÈGLES DU MARCHÉ FAUSSÉES
Si le marché était rationnel, il faudrait s’attendre, selon la société d’études Cercle Cyclope, l’expert mondial des marchés de matières premières, à ce qu’en 2014 le prix des graines de soja baisse de 29 %, celui de l’huile de soja de 33 % et celui du tourteau de soja de 24 %.
Or, loin de suivre cette déflation annoncée, le boisseau de soja se maintient, depuis l’été 2013, autour d’un cours de 12-13 dollars (de 8,90 à 9,60 euros) pour livraison à trois mois. Vendredi 31 janvier, il ne donnait aucun signe de faiblesse, à 12, 83 dollars à Chicago.
Deux pays d’Amérique latine ont faussé les règles du marché de cet oléagineux. Pour lutter contre une inflation galopante qui tourne autour de 25 % l’an, l’Argentine a maintenu artificiellement le taux de change de son peso. Depuis 2011, le peso, actuellement à environ 8 pesos pour 1 dollar, est flanqué d’un cours parallèle dit « dollar bleu » de 13 pesos pour 1 dollar.
« Ajouté à la taxe de 35 % sur les exportations de soja, ce différentiel entre les deux cours incite les agriculteurs argentins à vendre leurs graines au compte-gouttes [ils espèrent que le peso va être à nouveau dévalué]. Tant que l’écart entre les deux pesos persistera, ils conserveront leurs stocks pour le malheur du gouvernement dont c’est la principale source de devises », explique Renaud de Kerpoisson, président d’Offre demande agricole, société de conseil en gestion du risque des prix.
« VOLATILITÉ ENTRETENUE »
Les fabricants de nourriture animale se sont alors tournés vers les Etats-Unis pour acheter l’ingrédient numéro un de la pitance des basses-cours du monde entier. Résultat : aujourd’hui, il n’y a plus de soja américain disponible. Ils se sont jetés sur le soja brésilien. Le pays est le premier producteur de la planète. Malheureusement, les trains, les routes et les quais brésiliens sont dans un piteux état et le Brésil peine à fournir les quantités demandées par ses clients, dont l’inquiétude soutient les prix mondiaux.
« Les montagnes de soja accumulées par l’Argentine sont potentiellement dangereuses et entretiennent une volatilité », poursuit M. de Kerpoisson. Le jour où le cours du peso cessera d’être sous-évalué, les agriculteurs argentins vendront massivement les 7 ou 8 millions de tonnes qu’ils retiennent… et les prix pourraient chuter.
Cette éventualité n’est peut-être pas si éloignée car, prévient M. de Kerpoisson, « les fonds spéculatifs ne vont pas tarder à déclencher des attaques contre le peso et il y a de grandes chances qu’ils cassent le régime de changes fixes de l’Argentine ». Une catastrophe pour la population. Mais bingo pour les agriculteurs !