Le musicien argentin Juan Carlos Caceres est mort

Chanteur, auteur, compositeur, pianiste, tromboniste et bien plus encore (peintre, conférencier, bon vivant…), Juan Carlos Caceres est mort le dimanche de Pâques, le 5 avril, chez lui, à Périgny-sur-Yerres (Val-de-Marne), où il était alité depuis deux mois, souffrant d’une tumeur au cerveau. Le « maestro », comme l’appelaient affectueusement ses amis, avait 78 ans.

Né à Buenos Aires, en septembre 1936, il vivait en France depuis 1968. Où le tango l’a attrapé. Avant cela, après une formation de pianiste classique et des études aux Beaux-Arts, il s’intéresse plutôt au jazz et à la peinture. Etudiant la journée, la nuit, il joue du piano et du trombone au sein des clubs de jazz qu’il ouvre successivement et anime avec une chaleureuse bonne humeur. Dizzy Gillespie, Juliette Gréco passeront par là. Hugo Pratt, aussi, « un ami de toujours, un sacré chanteur de blues ! », nous confiait, en 1995, Caceres, qui venait alors de sortir chez Celluloïd le deuxième album sous son nom, Sudacas. Deux ans après Solo, la première fois où il se risquait à chanter en studio, la voix rugueuse et chaleureuse (« Jusqu'alors, je me contentais de pousser un petit tango ou un boléro dans la cuisine, pour charmer les filles, à la fin d'une fête »).

Un tango émancipé des codes

A Paris, il enseigne l’histoire de l’art, accompagne Marie Laforêt, joue au sein des diverses formations dont il assure la direction, dont Gotan et Tangofon, y montrant un penchant très net pour un tango émancipé des codes et de ses habitudes. « J'ai mis vingt ans avant de pouvoir concrétiser mes projets musicaux. J'apparaissais en effet comme un iconoclaste. Je voulais faire jouer un bandonéon avec un saxophone et une batterie, revenir à la percussion originelle, laisser beaucoup de place à l'improvisation afin de retrouver un concept de musique vivante, improvisée, comme le jazz. Dans les années 1940, nous expliquait encore le chanteur, il y avait des musiciens qui, tout en utilisant les instruments traditionnels du tango, intégraient des percussions et faisaient une musique bâtarde, telle celle que je compose. »

Pour Caceres, « la modernité se trouve toujours aux origines », se souvient le musicien argentin Eduardo Makaroff. Co-créateur du groupe Gotan Project et du projet Plaza Francia (l’associant avec Christophe Müller, ex Gotan Project également, à Catherine Ringer), Makaroff a créé le label discographique Mañana. Juan Carlos Caceres sera l’un des premiers artistes qu’il signera. Enregistré à Buenos Aires et Paris entre septembre 2003 et mai 2004, l’album Murga Argentina sort en 2005. Deux autres suivront, Utopia (2007) et Noches de Carnaval (2011). « Nous avions une amitié suivie et un rêve commun, créer un mouvement des musiciens argentins à Paris avec un manifeste, Los Muchachos de Paris – qu’il a rédigé et faire tourner un camion dans les rues de Paris en jouant, raconte Makaroff. Cela n’a pas abouti, mais la conséquence de ce rêve a été le label Mañana ».

Les racines africaines du tango

Pour comprendre le tango, expliquait pendant ses concerts, Caceres, assis au piano, il faut prendre en compte « l'histoire reniée » de l'Argentine, sa part d' « africanité ». Il faut « rendre à l'Afrique sa place légitime dans la culture argentine ». La murga (musique de carnaval, rythmée par les tambours, « interdite pendant la dictature, parce que subversive »), le candombe, la milonga et le tango, ont leur part de négritude, martelait le musicien.

Le réalisateur Dom Pedro a consacré un film, sorti en 2013, à la réaffirmation des racines africaines du tango, avec Juan Carlos Caceres comme personnage central, Tango Negro, les racines africaines du tango. Le film a été primé en mars au Fespaco (Festival panafricain de cinéma) à Ouagadougou (Burkina Faso). Le jour du décès de Caceres, Dom Pedro présentait son documentaire à l’Université Columbia à New York. « Le film, fait autour de lui et sur ses travaux, est là pour perpétuer sa mémoire et sa vision humaniste. Juan Carlos était pour moi un justicier, déclare au Monde, depuis Montréal, le réalisateur. Au-delà de toute mon admiration et de toute ma reconnaissance, mon ardent souhait est que son engagement serve d'exemple et que sa vision fasse des émules ».

Un hommage lui sera rendu le samedi 18 avril à 18 heures au loft de la Bellevilloise, à Paris, avec la projection du film Tango Negro, suivie d’une milonga (bal tango).

Juan Carlos Caceres en quelques dates

4 septembre 1936
Naissance à Buenos Aires.

Mai 1968
Arrivée à Paris.

1993
Solo, premier album sous son nom (Celluloïd).

2014
Gotan Swing, en quartet avec Didier Schmitt, Frédéric Truet, Guillermo Venturino (Rue Stendhal).

5 avril 2015
Mort à Périgny-sur-Yerres (Val-de-Marne).

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