Depuis 2012, année où il est devenu directeur de Peugeot Sport, Bruno Famin se bat pour faire « survivre » l’activité sport chez Peugeot. Bien lui en a pris. Après une modeste participation en 2015, les 2008 DKR du lion ont fait une entrée remarquée dans le Dakar. Elles ont dominé la concurrence la première semaine. Surtout, le Français Stéphane Peterhansel devrait gagner son douzième Dakar. En tout, la marque française a réussi à placer trois voitures dans le top 10 au 15 janvier.
Une réussite inespérée qui laisse Bruno Famin très prudent. Joint par téléphone à Salta, en Argentine, dimanche 10 janvier, l’homme, âgé de 54 ans, connaît trop la discipline pour s’emballer. « J’ai eu la chance de connaître l’ère Jean Todt [responsable Peugeot sur le Paris-Dakar, lors de la domination des 205, avec Ari Vatanen], rappelle-t-il. A l’époque, il déclarait se battre “contre des camionnettes”. » Comprendre : des véhicules technologiquement très basiques.
« Coller à la stratégie de la marque mais aussi au budget »
Aujourd’hui, les exigences ont changé. Bruno Famin a appris à conjuguer passion et pragmatisme. « En tant que directeur des sports, il faut coller à la stratégie de la marque, mais aussi au budget. Aujourd’hui, le sport automobile est en concurrence avec d’autres moyens de communiquer. Si l’on investit tant, on doit avoir un retour de tant. »
Le Dakar serait donc raisonnable ? « L’idée, avec Maxime Picat [directeur], était d’engager Peugeot, avec un 2008, seul véhicule de la marque à être vendu à l’échelle mondiale. On cherchait un rallye-raid dans les Brics [Brésil, Russie, Inde, Chine]. En juillet 2013, on a participé au Silk Way Moscou-Pékin : de quinze jours en Chine. Avec un impact zéro en France, mais un impact total en Chine. C’est ce que l’on recherchait. »
L’idée du Dakar est venue plus tard, un peu par hasard, mais aussi parce que « courir le Dakar en 2016 coûte quatre fois moins cher que de s’aligner aux 24 Heures en 2011 – quand on a arrêté –, si l’on veut avoir une chance de concurrencer les poids lourds Porsche et Audi. Les deux marques allemandes investissent chacune 200 millions d’euros pour Le Mans. Le Dakar, c’est moins de 10 % de cette somme. » A vos calculettes.
Restait à trouver les bons pilotes. Stéphane Peterhansel, Monsieur Dakar, 6 victoires au guidon de sa Yamaha, 5 victoires auto, débauché de chez Mini pour relever le défi Peugeot. Carlos Sainz, double champion du monde des rallyes. Cyril Despres, 5 fois vainqueur du Dakar en moto entre 2005 et 2013, Romain Dumas, double vainqueur des 24 Heures. Et, bien sûr, le nonuple champion du monde WRC, Sébastien Loeb.
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Les deux hommes se rencontrent à Pikes Peak, la fameuse course de côte « dans les nuages », qui monte en lacets jusqu’à plus de 4 000 m d’altitude. Au volant d’une 208 DE, l’Alsacien explose le précédent record.
C’est un déclic. « Il n’y avait même pas de projet Dakar chez Peugeot à ce moment-là. Puis Sébastien a fait des essais avec la 2008 en juin et a participé au rallye du Maroc. » Le duo Loeb-Alena (toujours) part en tonneaux dans la troisième spéciale. l’expérience est néanmoins instructive. « Loeb fait un malheur !, s’enthousiasme Bruno Famin. Sébastien est quelqu’un d’assez réservé qui s’intègre très bien. Il est à mille lieues de la star et s’acclimate avec la vie rude de bivouac. Il est très fort, comme Carlos Sainz, la notoriété en plus. C’est incroyable. » Une notoriété dont profite largement le Dakar, « porté » cette année par l’effet Loeb. Une aubaine au moment où accusé de n’être que la pâle copie de la course imaginée par Thierry Sabine, le Dakar risquait pire : l’oubli.
Bruno Famin a connu les deux périodes. « Par rapport aux années 1980-1990, c’est vrai qu’il y a moins d’aventure, il n’y a plus de concurrent qui finit l’épreuve les deux chevilles cassées [le motard Hubert Auriol, en 1987]. La sécurité est très renforcée. Les paysages aussi ont changé. L’Amérique latine est magnifique, mais ce n’est pas du désert infini. On n’est jamais très loin d’une ville. En cela, il ressemble de plus en plus à un rallye, mais le rallye le plus dur au monde. En deux semaines, on peut rouler sous des trombes d’eau, dans la neige, puis dans la chaleur extrême, comme l’an dernier. La course s’est beaucoup durcie. Techniquement, pour les machines, c’est très compliqué. »
Il y a trois grosses équipes, Toyota, Mini et Peugeot. De ce point de vue, on est effectivement loin des années 1980 et des « camionnettes » dont parlait Jean Todt. Mais il reste des amateurs. Ce sont eux qui transmettent la tradition. Pour eux, tout est plus difficile : « Le gars qui part en 70e position doit rouler dans des sillons trop marqués, des crevasses. »
Trois accidents, deux morts
Difficile, et dramatique, trop souvent. Depuis sa création le Dakar a fait plus de 70 morts (71 selon les associations d’opposants), auxquels il faut ajouter deux morts depuis le début de l’édition 2016. Samedi 9, la Mitsubishi du Français Lionel Baud a renversé et tué un berger bolivien âgé de 63 ans. « Je connais le pilote, commente Bruno Famin. C’est un industriel et un pilote on ne peut plus raisonné. Je pense que cet accident dramatique est à mettre plus sur le compte de l’accident de la route. Autant l’accident survenu sur le prologue [la Mini des Chinos Guo Meiling et Min Liao est sortie de la piste et a blessé 10 spectateurs, dont deux grièvement, près de Rosario en Argentine] peut être imputé à un défaut d’organisation et d’encadrement du rallye. »
Mardi 12 janvier, un autre accident mortel est survenu en marge de la course sur une route de la province de Cordoba. Le camion d’assistance qui remorquait la voiture du Français Lionel Baud a été percuté par un semi-remorque, provoquant un carambolage avec quatre autres véhicules et tuant le conducteur argentin de l’un d’eux, selon la télévision argentine Cadena 3. Pas très bon pour l’image de marque du constructeur français.
« Peterhansel Sainz et Loeb, ce sont des requins blancs »
Bruno Famin préfère ne pas polémiquer sur le nombre de morts sur le Dakar. « Chaque jour, en France, une dizaine de personnes meurent sur les routes », minimise-t-il. Il préfère se focaliser sur son domaine de compétence, la fiabilité des 2008 DKR. Chez Peugeot, après les résultats inespérés de la première semaine, l’inquiétude est réelle. « On a nous-mêmes émis des réserves sur la fiabilité de nos voitures. On effectue nos essais développement au Maroc », sous-entendu loin des conditions climatiques de course en Bolivie et en Argentine. « De plus, on est encore en phase d’apprentissage. On découvre plein de petits problèmes. Cette année, on voulait juste montrer la fiabilité de la voiture, poursuit-il. On n’avait pas d’objectif sportif. »
« On a peur de la seconde semaine, confiait le directeur de Peugeot Sport. L’orientation, les très fortes chaleurs possibles nous incitent à la prudence. » Pour l’instant, « les équipages s’entendent très bien. Mais ça va commencer à frotter un petit peu. Peterhansel Sainz et Loeb, même si leurs carrières sont faites, ce sont des requins blancs. Ils n’ont qu’un objectif, c’est gagner. » C’est pour départager deux « requins blancs » qui prenaient trop de risques à son goût qu’un certain Jean Todt a tiré à pile ou face la victoire entre Ari Vatanen et Jacky Ickx en 1989. Le Finlandais a gagné, le Belge a digéré. Une autre époque, dit-on.