A force de perturber l’allaitement des baleineaux, les goélands de la péninsule de Valdès, en Patagonie argentine, ont fait exploser leur taux de mortalité.
Les goélands harcèlent les baleines pour becqueter leur couche de graisse. Photo AFP
A quelques dizaines de mètres du rivage de la baie de Golfo Nuevo, cinq goélands tournoient au-dessus des baleines franches australes. Ils attendent qu’elles remontent à la surface et fondent sur elles comme des oiseaux de proie. A coups de bec ils piquent, pour se nourrir, dans leur épaisse couche de graisse. La baleine se cambre, fait des mouvements brusques pour se soustraire à son agresseur et rompt le contact avec le baleineau. « C’est dans ces eaux que les baleines donnent naissance à leurs petits. C’est aussi le lieu de sevrage des baleineaux. N’ayant pas de lèvres pour téter, le petit absorbe les jets de lait très épais de sa mère. A chaque attaque, ce processus est interrompu. Or c’est un moment crucial dans la croissance des cétacés. La grande majorité des baleineaux retrouvés morts souffraient de malnutrition », explique Mariano Sironi, directeur d’études de l’Institut de conservation des baleines (ICB) en Argentine.
Dans son rapport annuel, Mariano Sironi a recensé, en 2012, 116 baleines mortes, dont 113 baleineaux. Une mortalité doublée par rapport à 2011. « Si ces attaques de goélands continuent, on verra les baleines abandonner la péninsule comme lieu de reproduction et s’exiler vers d’autres régions, comme on le voit déjà parfois au sud du Brésil », s’inquiète le chercheur.
Six mois par an, à partir de juin, les baleines franches australes se donnent rendez-vous dans les baies de la péninsule de Valdés, paradis des cétacés de l’Atlantique Sud classé au patrimoine mondial de l’humanité. Chaque année, plus de 100 000 touristes accourent assister au spectacle. De 1 500 à 2 000 spécimens y sont recensés. Ces baleines qui aiment les eaux froides de l’Antarctique, du Pacifique Sud et du Sud de l’océan Indien mesurent de 13 à 16 mètres et pèsent jusqu’à 50 tonnes à l’âge adulte. La taille des baleineaux à la naissance est de 3 à 5 m.
Ces dernières années, les goélands, nombreux dans la région, viennent perturber cet écosystème sans égal. Ils se nourrissent habituellement des déchets des bateaux de pêche. Désormais, ils complètent leur régime en picotant le dos des baleines. « Le goéland s’attaque à la peau puis à la graisse des baleines. Il effectue plusieurs picotages à chaque fois. Il attaque les baleineaux qui sortent plus souvent à la surface pour respirer », explique le guide José Anibal Cepeda, qui accompagne des touristes sur un bateau qui s’approche des cétacés. Ces attaques, qui provoquent des blessures profondes, jusqu’à 10 cm, inquiètent les spécialistes. Certaines baleines présentent des escarres d’1,5 mètre de long.
La biologiste du Centre national de Patagonie (Cenpat) Ana Fazio a noté des changements de comportement : les baleines ont adopté une « nage arquée » pour ne pas exposer leur dos, remarque-t-elle ; « On ne voit plus de la baleine que la tête et la queue. Nageant en profondeur, fuyant en permanence, les baleines réagissent aux attaques du goéland au prix d’une perte d’énergie importante ».
Le directeur scientifique du Cenpat, Marcelo Bertoletti, a organisé l’an dernier des prélèvements de goélands avec des chasseurs professionnels. 140 oiseaux ont été supprimés fin 2012, un chiffre insignifiant au regard de leur population. A 10 km du port de pêche de Puerto Madryn, Marcelo Bertoletti s’étonne de voir de 5 à 8 000 goélands dans une décharge municipale où pourrissent des résidus de poisson. « Ici c’est un McDonald’s pour les goélands ! On les nourrit au lieu d’enterrer les déchets », ce qui favorise leur multiplication. Il redoute, en outre, que les goélands transmettent « virus, bactéries ou champignons qui peuvent à tout moment infecter les baleines ».
Comme les baleines de la même espèce coulent des jours heureux en Afrique du Sud et en Australie, les scientifiques penchent pour la particularité argentine d’une surpopulation des goélands. D’autres thèses comme l’échouage ou l’effet des radiations solaires n’ont pas été retenues pour expliquer la hausse de la mortalité.
Les autorités de la province de Chubut ont prévu de reprendre début juillet leur politique de réduction de la population des goélands, afin de préserver la quiétude des baleines, le principal capital d’attraction de la péninsule de Valdès.