L’ARMÉE qui dépose le président, l’enferme et arrête ses proches, installe un autre homme à sa place et annonce une nouvelle Constitution, on a déjà vu cela. De la Grèce à l’Argentine en passant par l’Afrique, on a même une expression toute faite, qui dit bien ce qu’elle veut dire : c’est un coup d’État militaire.
Généralement, la troupe prend le contrôle des communications, ferme les frontières et installe l’état d’urgence et le couvre-feu. La rue est tétanisée. Et cela peut durer.
Voilà ce qui est troublant, aujourd’hui, en Égypte : le général Abdel Fattah al-Sissi a bien annoncé l’arrestation de Mohamed Morsi, dont on n’a d’ailleurs pas de nouvelles précises depuis mercredi, mais pour le reste, il n’a rien fait comme les autres. Ce Sissi n’est certes pas un général d’opérette, mais pas non plus un dictateur : il ne s’est même pas installé lui-même à la tête du pays. Conformément à ce que prévoit actuellement la Constitution, c’est le président de la Haute cour constitutionnelle qui a prêté serment.
Quant à la rue, elle est loin d’être tétanisée : elle exulte. Place Tahrir, les manifestations de soutien ne s’interrompent qu’au petit matin, quand il est l’heure d’aller se reposer un peu. Et le lendemain après-midi, c’est reparti.
Hier, les autorités ont même autorisé la grande manifestation de protestation des pro-Morsi ! L’opposition dans la rue, ça ne colle pas avec l’idée qu’on se fait du coup d’État. Et que dire des frontières qu’on passe à sa guise, des télés qui rendent compte librement ou de l’appel à la réconciliation nationale lancé jeudi ?
Ce coup-là, même s’il est militaire, n’est pas banal. C’est pour cela qu’on est bien embêté, à l’étranger. Personne, en Occident, ne parle de coup d’État. «
Un coup militaire
», disent les ambassades et les grandes agences de presse. Ce qui ne veut pas dire grand-chose.
Le peuple égyptien, en revanche, en a beaucoup à dire. Si une majorité semble reconnaissante à l’armée, elle n’oublie pas l’épreuve qu’a été le précédent intérim militaire, après la chute de Moubarak. Gouverner, c’est un métier, et ce n’est pas celui des généraux. Alors, s’il veut que son pays lui reconnaisse un jour un coup d’éclat, le général al-Sissi doit tenir bien vite ses promesses d’un gouvernement de crise, d’une Constitution toilettée et de nouvelles élections.
Quoi qu’il arrive aujourd’hui, il restera l’homme qui a déposé un président démocratiquement élu, et toute la mouvance religieuse, bien au-delà de l’Égypte, ne l’oubliera jamais. Son seul salut passe par un vrai sursaut de démocratie ; ce qui ne va pas avec le maintien de l’armée au pouvoir, pour le coup. class="macro" displayname="PUCE" name="bullet"