Aucune photo damis sur les murs. Pas non plus de fond dcran gnant la gloire de ses enfants sur son ordinateur. Si Florencia Arietto vitait dafficher sa vie prive sur son lieu de travail, ce ntait pas par choix, mais plutt par protection. Chef de la scurit du club dIndependiente jusqu sa dmission il y a une dizaine de jours de cela, une premire pour une femme dans lhistoire du football argentin, cette avocate de 35 ans tait la cible principale de ceux quelle combattait : les barras bravas. Malgr les menaces, son rouge lvre et ses talons aiguilles, Arrietto se rvait pourtant en monsieur propre du football albiceleste. Ma nomination a fait jaser parce que je suis une femme, et alors ? On est pareilles que les hommes et je veux montrer quon peut avoir des meilleurs rsultats dans des univers machistes qui nous ont t interdits pendant des annes , expliquait-elle quelques semaines avant de quitter son poste.
Lexprience des bidonvilles
Avant son passage Independiente, qui lui a offert le privilge dtre suivie toute la journe par un garde du corps, Arietto tait lune des figures du collectif Arde la ciudad (la ville brle). Une association luttant contre la misre sociale dans les villas , les bidonvilles de Buenos Aires. Une exprience qui lui a surtout permis de mieux comprendre lhistoire de la violence dans les stades argentins. Les chefs des barras sont des mafieux qui vivent au-dessus des lois. Ils conduisent des voitures de luxe, vivent dans les meilleurs quartiers et manipulent leur guise les gens des villas pour conserver leur statut. Pour ne pas se salir les mains, ils distribuent de largent et des billets de match ceux qui nont rien. La misre, voil la vritable main-duvre des chefs des barras. Le pire, cest que beaucoup de gens leur demandent des autographes. Ils ne se rendent pas compte que ce sont des dlinquants qui passent leurs semaines vendre de la drogue aux jeunes et tuer ceux qui leur barrent la route. Si on demande aux barras comment sappellent les joueurs de leur quipe, ils ne sauront pas en nommer un seul. Sils viennent au stade, cest uniquement pour largent et le pouvoir, pas pour le football.
Pablo Alvarez, capo de la barra La Roja dIndependiente, faisait partie de ceux-l. Celui qui est surnomm Bebote touchait la coquette somme de 40 000 dollars par mois de la part du club il y a encore quelques mois. Cet emploi fictif, le nouveau prsident du club, Javier Cantero, y a mis fin au moment de son investiture, lorsquil sest aperu que le livre de compte du club prsentait un lger trou de 70 millions de dollars videmment, Bebote et vingt de ses hommes de mains staient alors points au sige du club pour casser quelques ordis et menacer de mort Arietto et son patron. Il a agi comme a, parce quavant, ctait le patron du club. Mais plus maintenant , se flicitait alors Florencia. Depuis, il est parti vivre dans une belle villa Ibiza. Son bras droit soccupe de sa maison ici , raconte Demian, membre de la tribune de lEstadio Libertadores de Amrica depuis sept ans et satisfait, comme beaucoup dautres, du coup de balai de lavocate.
Je ne suis pas une superwoman
Mais celle-ci le savait, lorsquun volcan steint, un autre ne tarde pas sveiller. Cest trs gratifiant davoir mis de cot un personnage de son espce, mais je sais quil va trs vite tre remplac. Je reste pourtant confiante en lavenir, mme si je ne suis pas une superwoman. Ni mme un kamikaze ou un taliban. Jai conscience que mon boulot est de lutter contre des mecs qui sentre-dchirent pour avoir le pouvoir de la barra. Ces types-l nont peur de rien et nont quun recours : la violence. Il ne faut pas pour autant quon sarrte de vivre ou de venir au stade. Les barras nous ont enferms dans une chambre noire remplie de moustiques en nous faisant croire quil sagissait de dragons. Ils jouent sur nos nerfs mais le temps joue pour nous. Ctait peut-tre sa seule faute. Arietto voulait aller vite, trs vite. Trop vite pour son alli Independiente, le prsident Cantero, le seul en Argentine vraiment lutter contre ces barras bravas qui ont la mainmise sur les clubs de football. Bien quelle reste persuade qu il est ce qui pouvait arriver de mieux Independiente , la jeune femme a dcid de partir, ses objectifs cette saison ntant plus les mmes que ceux de son prsident, qui lutte aussi pour maintenir le club en premire division. Lide est de sauvegarder ce que lon a obtenu, qui est dj rvolutionnaire pour Independiente et plus gnralement pour le football argentin. On ne paye pas de dlinquants, on ne leur offre pas non plus de billets. Florencia voulait aller plus loin encore, et cest l quon ntait plus daccord. Je suis aussi contre la violence dans les stades, mais je ne veux pas voir Independiente jouer dans une glise.
La jeune femme nabandonnera pas pour autant le combat. Dans quelques semaines, elle se prsentera au sige de la Fdration pour prsenter un projet de lutte contre les barras, sinspirant trs largement de celui avec lequel lAngleterre avait mis fin au hooliganisme. Jai demand lambassade anglaise de Buenos Aires de menvoyer le rapport du projet Taylor et je me suis dit quil y avait plusieurs mesures importantes quon pouvait transposer aux tribunes argentines. La premire dentre elle, cest la rpression. Il faut rehausser les peines et ne pas hsiter envoyer en prison ceux qui considrent le stade comme un lieu de violence Lautre point important, selon moi, cest de responsabiliser les clubs concernant ce quil se passe dans leurs enceintes. Si la Fdration argentine appliquait des amendes de 100 000 dollars aux clubs chaque incident perptr par leurs barras bravas, ils seraient beaucoup plus fermes en matire de scurit. Arietto, la nouvelle dame de fer ?
Par Lo Ruiz
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