L’Argentine n’a pas tourné la page de la faillite de 2001

Attaqué par des fonds spéculatifs, le pays attend le verdict de la Cour suprême américaine. La présidente Cristina Kirchner, à Buenos Aires.

Le pays de Cristina Kirchner va-t-il replonger dans le chaos ? La question, loin d'être rhétorique, est, aujourd'hui, plus d'actualité que jamais. Lundi 30 septembre, la Cour suprême américaine doit en effet dire si elle se saisit ou non d'une affaire potentiellement explosive pour Buenos Aires.

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Retour sur les faits. Le 23 août, la cour d'appel de New York a condamné l'Argentine à rembourser 1,5 milliard de dollars (1,1 milliard d'euros) à deux fonds spéculatifs américains, NML Capital et Aurelius, qui avaient refusé la restructuration de la dette du pays, après son défaut de 2001. A l'époque, les autres créanciers avaient accepté une décote de 70 % sur leurs titres.

Si la présidente Cristina Kirchner refuse aujourd'hui de payer les fonds "vautours", préférant faire appel à la Cour suprême, c'est parce qu'elle redoute que cela ne déclenche un scénario catastrophe. "Si le jugement est validé, tous les créanciers pourraient réclamer eux aussi d'être remboursés à 100 %", confirme Egidio Luis Miotti, spécialiste de l'Amérique du Sud à l'université Paris-XIII. Le pays serait alors incapable de régler la facture, qui dépasserait les 40 milliards de dollars...

Cette affaire rappelle que l'Argentine, parfois citée comme un modèle de succès en la matière, est en vérité loin d'avoir réglé tous les dossiers de sa faillite de 2001.

FAILLES JURIDIQUES

Plus de dix ans après, le pays est toujours exclu des marchés financiers. Les investisseurs le considèrent avec suspicion. Pis, les Argentins eux-mêmes n'ont toujours pas confiance en leur propre monnaie, le peso, préférant acheter des dollars sur le marché noir pour protéger leurs économies... "Le pays a commis beaucoup d'erreurs dans la gestion de la restructuration de sa dette", explique Juan Carlos Rodado, économiste chez Natixis.

 Celle-ci s'est déroulée dans des conditions houleuses. En 2001, la déroute financière traversée par Buenos Aires a fait décoller l'endettement public de 63 % à 135 % du produit intérieur brut en quelques mois seulement, obligeant l'Etat à faire défaut. L'ennui, c'est que la dette était composée de 152 types d'obligations, émises dans quatorze devises et régies par huit législations nationales différentes. "Le pays a géré ses emprunts sans aucune cohérence juridique", résume Victor Lequillerier, de BSi Economics, un think tank de jeunes économistes.

Voilà pourquoi les négociations sur la restructuration ont duré des années, jusqu'en 2005 et 2010. 93 % des investisseurs détenant la dette argentine ont alors accepté une décote de 70 % sur leurs titres. Les 7 % de récalcitrants ont, eux, revendu leurs bons... aux fameux fonds vautours américains.

Ceux-ci ont vite repéré les failles juridiques des contrats régissant les obligations argentines. En effet, aucun d'entre eux ne comportait de clauses d'action collective, aujourd'hui systématiques. Celles-ci précisent que si 75 % des créanciers acceptent une décote lors d'un défaut tous les autres sont contraints de s'y soumettre, sans aucun recours possible.

GUÉRILLA JURIDIQUE

Les avocats de NML Capital et Aurelius se sont engouffrés dans la brèche. Et ont lancé une guérilla juridique dont le jugement de New York n'est que l'ultime rebondissement.

Mais la situation ne serait aujourd'hui pas aussi tendue si les gouvernements argentins avaient profité des années postfaillite pour réformer l'économie. La folle croissance enregistrée entre 2003 et 2009 (9 % par an) est en effet uniquement due à l'envolée des cours des matières premières exportées par le pays, soja en tête.

Grâce à cela, Buenos Aires a accumulé un excédent commercial et des réserves de change record, qui lui ont permis de se financer sans faire appel aux marchés. "Mais, pendant ce temps, le pays n'a pris aucune mesure pour diversifier son industrie et renforcer sa compétitivité", explique Christine Rifflart, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques.

Résultat : depuis que la croissance mondiale ralentit, l'Argentine pioche dans ses réserves de change, qui baissent à vue d'oeil, pour se financer. Afin de stopper la fonte de l'excédent commercial, la présidente a, dès 2011, imposé un contrôle des changes et de sévères mesures protectionnistes.

EN CONFLIT AVEC LE FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL

Les taxes sur les exportations s'élèvent ainsi jusqu'à 35 %, tandis que les importations de biens d'équipement sont limitées. Des dispositions qui se sont révélées inefficaces contre la dépréciation du peso et le ralentissement de l'activité.

Le pays est également en conflit avec le Fonds monétaire international (FMI) qui lui reproche de publier des statistiques trafiquées. Selon les économistes, le taux d'inflation réel frôlerait ainsi les 25 %, alors que l'Argentine assure qu'il ne dépasse pas 10 % ou 12 %...

L'institution de Christine Lagarde a laissé jusqu'au 29 septembre au gouvernement Kirchner pour mettre ses chiffres en conformité. Mais, comme le pays n'entretient plus aucun lien financier avec le FMI - il a remboursé les 9,6 milliards de dollars qu'il lui devait en 2006 -, il ne prend pas une seconde ses menaces de sanctions au sérieux...

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