Le pays sud-américain multiplie les offensives sur le front judiciaire. Objectif : gagner du temps et limiter les effets pour son économie.
Une semaine après le défaut partiel de l’Argentine , Cristina Kirchner est remontée comme jamais. La présidente argentine promet de « défendre » bec et ongles son pays contre les fonds spéculatifs. « Chaque fois que l’Argentine devient viable et acquiert une certaine autonomie qui lui permet de n’être pas être endettée, alors commencent les missiles et les bombardements », a-t-elle lancé, lundi soir, lors de sa deuxième intervention télévisée depuis le défaut de paiement partiel. Un langage guerrier loin d’être innocent. Cristina Kirchner entend batailler sur tous les fronts judiciaires pour gagner du temps. Cinq mois si possible. C’est, en effet, en janvier qu’expire la fameuse clause Rufo (« rights upon futur offers »). Elle oblige l’Argentine à mieux payer les créanciers qui ont accepté la restructuration de la dette avec un rabais de 70 % de la valeur de leurs titres, si elle paie d’abord les fonds à 100 %, comme l’y oblige la justice américaine.
Porter plainte
Première offensive argentine : porter plainte contre les fonds spéculatifs devant l’autorité boursière américaine, la SEC (« Les Echos » du 5 août 2014) . « Il y a des preuves suffisantes de manœuvres très graves » qui « doivent être éclaircies au niveau mondial », a estimé Alejandro Vanoli, président de la CNV, l’autorité boursière argentine. « J’ai eu des contacts avec mes homologues européens car cette pratique pourrait constituer un délit important, tel que l’utilisation d’information privilégiée ou la manipulation du marché » des obligations, précise-t-il.
Mais l’Argentine veut aller plus loin. « Nous irons sur toutes les scènes internationales pour dénoncer et démontrer la barbarie des fonds vautours, qui ont spolié plusieurs peuples, notamment l’Afrique, en raison de leur faiblesse. Aujourd’hui, ils sont face à un gouvernement, le gouvernement argentin, qui ne va pas se laisser faire », menace Oscar Parrilli, secrétaire général de la présidence. Buenos Aires évoque ainsi « La Haye, le G20 ou les Nations unies », bien qu’une plainte devant la Cour de La Haye n’ait guère de chance d’être recevable, assurent les spécialistes.
Enfin, le gouvernement de Cristina Kirchner n’exclut pas de poursuivre Bank of New York Mellon (BoNY), qui bloque sur ordre du juge Griesa le paiement aux créanciers de 539 millions de dollars (400 millions d’euros). Lundi, les détenteurs européens d’obligations touchés par ce gel ont menacé par écrit le juge américain de faire appel. « Ce tribunal n’a pas l’autorité pour bloquer des bons émis par un pays étranger », protestent les créanciers.
Pour les institutions bancaires et financières, le paiement ou non-paiement des bons argentins est devenu un vrai casse-tête. S’il persiste dans l’interdiction faite à BoNY, le juge Griesa a exceptionnellement autorisé JPMorgan Chase, Citibank, Euroclear et Clearstream à payer des obligations sous loi argentine, mais pour « une seule et unique fois ». En outre, le juge fédéral américain a ratifié Daniel Pollack comme médiateur, malgré les critiques de « partialité » et d’« incompétence » émises par l’Argentine. « L’important est de rester à la table des négociations », insiste-t-il. Selon les observateurs, le juge Griesa prépare le terrain avant d’accuser le pays sud-américain d’« outrage au tribunal » puisqu’il n’exécute pas sa condamnation.
Dévaluation attendue
Qu’importe. Le gouvernement argentin se désintéresse désormais de l’affaire aux Etats-Unis. Il cherche surtout à en minimiser les effets sur son économie. Alors qu’on évoque une accélération de l’inflation à plus de 40 %, Cristina Kirchner a décrété une hausse des retraites de 17 %. Depuis le défaut partiel, la Banque centrale a aussi changé son comportement sur le marché des changes. Elle laisse désormais glisser le peso, après les six mois de stabilité qui ont suivi la dévaluation de 20% du peso, en janvier dernier. Une nouvelle dévaluation pourrait intervenir dans les prochaines semaines, assurent les cambistes.
La situation inquiète aussi la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc). Alicia Barcena, sa secrétaire exécutive, s’est dit préoccupée par le fait que cela « puisse générer un précédent. Cela nous a surpris qu’un juge de New York puisse compromettre un pays aussi important que l’Argentine. Nous étions optimistes sur la possibilité de parvenir à un accord, la vérité est qu’il est difficile de prédire ce qui va se passer ».
Olivier Ubertalli
Correspondant à Buenos Aires
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