Un centenaire peut parfois en cacher un autre. L'Argentine, à l'honneur au Salon du livre de Paris, en mars, avait rendu hommage à Julio Cortazar (1914-1984), né un 26 août. Le choix paraissait justifié, d'autant que l'auteur avait élu domicile à Paris, source d'inspiration d'une bonne partie de son roman cult Rayuela (Marelle, traduction française chez Gallimard).
En conséquence, le centenaire d'un autre Argentin illustre n'a pas bénéficié du même coup de projecteur : Adolfo Bioy Casares. Il est vrai que les éphémérides étaient encombrées cette année. Si le Mexique a fêté comme il se devait le centenaire d'Octavio Paz (1914-1998), Prix Nobel de littérature, il n'en a pas été de même en France, en dépit de tout ce que le poète et essayiste devait au surréalisme et à la culture française. Les places sont chères dans la république des lettres...
Adolfo Bioy Casares, né à Buenos Aires le 15 septembre 1914, mort dans sa ville natale le 8 mars 1999, est longtemps resté dans l'ombre de son ami Jorge Luis Borges (1899-1986), son aîné.
Les affinités et la complicité entre les deux les a amenés à pratiquer un exercice difficile : écrire et signer ensemble des ouvrages, soit des récits, soit des anthologies.
Leur amitié et l'harmonie de leurs relations ont été un peu ébranlées, à titre posthume, par la parution des Mémoires de Bioy Casares, parfois désinvoltes à l'égard du vieil ami (Borges, aux éditions Destino, Barcelone, 2006, non traduit).
Le premier coup de maître de Bioy Casares, L'invention de Morel, date de 1940 (traduction française chez Robert Laffont). Dans sa préface, Borges disait que cette nouvelle était tout simplement "parfaite" et augurait un essor de la littérature fantastique de langue espagnole, jusqu'alors quasi inexistante. Bioy, comme Borges, va cultiver l'imaginaire, avec cependant deux différences notables à l'égard de son aîné : il n'avait pas le rejet du roman et montrait une indéniable attraction pour les méandres psychologiques de l'amour.
Sans se cantonner donc aux contes, Bioy Casares signe plusieurs romans : Plan d'évasion (1945), Le Songe des héros (1954), Journal de la guerre aux cochons (1969), Dormir au soleil (1973), dont les traductions françaises sont rassemblées dans un volume de la collection Bouquins, Romans (Robert Laffont, 2001).
A chacun ses préférences. Outre la fascination durable de L'invention de Morel, on peut signaler sa troublante version du conflit de générations des années 1960 : Journal de la guerre aux cochons décrit les scènes de chasse aux vieux déclenchée dans les rues autrefois paisibles de Buenos Aires, avec une férocité digne des pogroms antisémites.
Chez Bioy Casares, l'imagination va toujours de pair avec une admirable capacité à capter le langage et la mentalité des Argentins au fil du temps.
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