L’Argentine au Salon du livre de Paris suscite une polémique

Cristina Kirchner, le 22 janvier à Buenos Aires, pour son premier discours de l'année.

L’Argentine est à l’honneur au Salon du livre de Paris, qui se tiendra du 21 au 24 mars. D’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, on célèbre le centenaire de la naissance de l’Argentin Julio Cortázar (1914-1984), auteur du roman Marelle (Gallimard, 1966), qui avait choisi de vivre à Paris. Mais, à Buenos Aires, la sélection de la cinquantaine d’auteurs invités en France pour l’occasion a suscité une polémique symptomatique de la polarisation politique du pays. Car la liste compte d’ardents défenseurs du gouvernement, tandis que des intellectuels connus pour leurs critiques à l’égard de la présidente Cristina Kirchner n’y figurent pas.

« J’étais sur une première liste et un fonctionnaire a donné l’ordre de m’enlever », a ainsi affirmé Martin Caparrós, dont deux romans ont été traduits en français (Valfierno, Fayard, 2008, et Living, Buchet-Chastel, 2013). Cet ancien journaliste et blogueur, de gauche (alors que beaucoup d’adversaires du péronisme, que représente aujourd’hui Kirchner, viennent de la droite), assure que « le principal critère du gouvernement argentin » pour choisir les auteurs invités est « la loyauté, ou du moins l’innocuité politique ».

« ILS DOIVENT PENSER QUE JE NE SAIS PAS ME TENIR À TABLE »

Autre personnalité de gauche, essayiste réputée, Beatriz Sarlo, que s’arrachent pourtant les universités anglo-saxonnes, n’est pas non plus sur la liste : « Je n’ai pas été invitée. Jamais l’Etat ni la municipalité de Buenos Aires [contrôlée par l’opposition] ne m’ont payé un billet d’avion. Ils doivent penser que je ne sais pas me tenir à table », a-t-elle ironisé. L’historien Luis Alberto Romero, figure de l’université de Buenos Aires, ne vient pas au Salon du livre, pas plus que le romancier Jorge Asis (Fleurs volées dans les jardins de Quilmes, Renaudot Cie, 1990), ex-candidat à la vice-présidence et commentateur politique.

En revanche, plusieurs conseillers du prince feront le voyage à Paris : le théoricien du populisme Ernesto Laclau, le directeur de la Bibliothèque nationale, Horacio González, le philosophe médiatique José Pablo Feinmann, l’éditorialiste politique d’un quotidien gouvernemental Hernán Brienza… Leur venue semble accréditer l’interprétation selon laquelle l’allégeance au pouvoir aurait compté dans l’élaboration de la liste, dont les voix discordantes ont été écartées.

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Heureusement, celle-ci comprend, tout de même, des noms dont la notoriété ne dépend pas des aléas partisans : les dessinateurs Quino et José Muñoz, les écrivains Ricardo Piglia, Alberto Manguel, Mempo Giardinelli, Elsa Osorio, Lucia Puenzo, Leopoldo Brizuela, Pablo de Santis, Martin Kohan, Guillermo Martinez, sans oublier les auteurs qui résident en France – Arnaldo Calveyra, Alicia Dujovne Ortiz, Silvia Baron Supervielle ou Laura Alcoba. Leur nombre rend néanmoins inexplicable l’absence de Rodrigo Fresán, d’Edgardo Cozarinsky, d’Alan Pauls, trois auteurs de premier plan.

« ESPADRILLES OUI, LIVRES NON »

Le péronisme a une histoire pour le moins conflictuelle avec l’intelligentsia. Julio Cortázar, devenu une figure tutélaire, s’était exilé parce qu’il ne supportait pas l’ambiance des premières présidences du général Juan Perón (1946-1955). A l’époque, les détracteurs du régime étaient inscrits sur des listes noires et condamnés à l’exil ou à l’ostracisme. Le cas de Jorge Luis Borges devait servir d’exemple : l’écrivain avait été transféré de son poste de bibliothécaire à celui d’inspecteur de volailles sur les marchés. Le vieux slogan péroniste « espadrilles oui, livres non » reste un sommet de l’anti-intellectualisme populiste.

Les temps ont changé. Le pluralisme et les libertés ont été rétablis. Depuis l’arrivée au pouvoir de Nestor Kirchner (époux et prédécesseur de Cristina), en 2003, l’université et la recherche, longtemps délaissées, ont retrouvé des crédits conséquents. L’aide au cinéma, qui remonte au retour de la démocratie, en 1983, a été maintenue.

Cependant, les responsables de la politique culturelle ont du mal à refréner leur tendance à l’instrumentalisation des créateurs. D’où le regrettable couac du Salon du livre. « Les péronistes ne sont ni bons ni méchants, mais incorrigibles », disait Borges.

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