Un reportage de
Caroline Vicq, à Buenos Aires, en Argentine
Estela de Carlotto, Présidente de l’association des Grands-Mères de la place de Mai, le jour où elle a retrouvé son petit-fils,
après 36 ans de recherche :
Merci à tous,
merci à Dieu, merci à la vie. Car je ne voulais pas mourir sans avoir embrassé
mon petit-fils.
Argentine - Buenos Aires
© Wikimedia Commons - 2014
En Argentine, Estela de Carlotto, la présidente
de l’association des Grands-mères de la place de Mai, exprimait sa joie lors
d’une conférence donnée à Buenos Aires. Elle venait de retrouver son petit-fils
après 36 ans de recherche. Le 114ème sur les 500 enfants volés par
les militaires et placés dans des familles durant la dictature de 1976. Il s’appelle Guido, il a 36 ans. Ils
se sont rencontrés pour la première fois, il y a un mois.
Le
5 août dernier, Estela de Carlotto reçoit un coup de fil de la juge s’occupant
des tests ADN de l’association des Grands-Mères de la Place de mai l’informant
qu’on a retrouvé le 114ème petit-fils et que c’est le sien. Ce jour-là, au
siège de l’association rempli de journalistes du monde entier, elle donne une
conférence de presse. Emotion générale.
Estela De Carlotto :
Il m’a cherchée. Il est venu ici chez
les grands-Mères. Et aujourd’hui, on me dit que c’est mon petit-fils à 99,99%.
Heureusement que j’ai fait un examen cardiaque il y a peu de temps !
C’est une réparation. Pour lui, pour
notre famille et pour toute la société. Mais il reste beaucoup à faire. On a
encore 400 petits-enfants à retrouver. D’autres grands-mères doivent pouvoir
ressentir ce que je ressens aujourd’hui.
En
novembre 1977, sa fille Laura, militante péroniste, et enceinte de trois mois,
est séquestrée par les militaires. En 1978, son fils, Guido, naît en prison.
Laura ne verra son bébé que durant 5 heures. Elle sera ensuite tuée et son fils
donné à une famille. Guido deviendra donc Ignacio.
En
juillet dernier, l’homme de 36 ans, doutant de son identité, se présente
volontairement dans un laboratoire pour un test d’ADN.
Guido :
Il y avait des choses inexplicables en moi, je sentais
que j’avais des doutes et j’avais certaines interrogations. Par exemple,
je suis musicien, et on me demandait toujours d’où venait ma passion pour la
musique. Et je n’en savais rien. Parce que là où on m’a élevé, on me destinait
à tout autre chose. Mais je me sens bien face à la vérité. Je suis vraiment
heureux. J’ai vu des photos de mes parents ; je ressemble énormément à mon
père. C’est assez choquant ! Mais bon, ça ne fait que deux jours que je
sais qui je suis ; c’est tout frais. Je préfère me concentrer sur le
présent et sur l’avenir qui est très
prometteur. Et une fois que j’aurai pris conscience de tout ça, je me
retournerai vers le passé.
Une
joie personnelle mais surtout une victoire de la société qui continue à panser les
blessures de la dictature.
Remo Carlotto, fils d’Estela et député :
On va redoubler d’efforts. Que ceux
qui ont des doutes viennent nous voir. Car reconstruire son histoire, retrouver
son identité, savoir qui on est, c’est un moyen de se sentir libre. Et pour
nous, c’est une manière d’anéantir la dictature civile et militaire
génocidaire, qui a assassiné Laura et 30 000 camarades. C’est revendiquer
notre histoire et sentir qu’on a pu transformer la douleur en lutte, la lutte
en espoir et aujourd’hui, en joie.
Aujourd’hui,
après 36 ans de lutte et à 83 ans, Estela de Carlotto ne cesse
d’affirmer : « Je demandais à dieu de pouvoir embrasser mon petit-fils
avant de mourir. Maintenant, je lui demande qu’il me fasse vivre plus longtemps
pour profiter de lui. »