La justice américaine peut-elle juger de violations des droits de l’homme à l’étranger ?
lundi 21 octobre 2013 - 00h22
La Cour suprême américaine se penche, mardi 15 octobre, sur l’affaire dite Bauman contre DaimlerChrysler pour déterminer si le groupe automobile allemand Daimler AG doit répondre aux Etats-Unis de poursuites contre sa filiale Mercedes, accusée de complicité de violations des droits de l’homme en Argentine.
La haute juridiction s’est saisie au mois d’avril du litige initialement introduit par 22 plaignants – 21 Argentins et 1 Chilien – contre Daimler devant une cour d’appel de Californie qui avait jugé que le constructeur devait répondre personnellement d’accusations de violations des droits de l’homme commises par une filiale argentine, car le groupe détient une autre filiale qui distribue ses produits en Californie.
Les plaignants affirment qu’ils ont, ou que leurs proches, ont subi des violations des droits de l’homme dans les années 1970 quand ils étaient employés par Mercedes-Benz Argentine. Selon eux, l’entreprise "avait collaboré avec le gouvernement argentin pour enlever, détenir, torturer ou tuer [les plaignants] ou leurs proches sous le régime militaire argentin de 1976 à 1983".
DAIMLER SOUTENU PAR DES GRANDES ENTREPRISES ET WASHINGTON
Ils avaient déposé plainte contre Daimler AG en vertu de la loi Alien Tort Statute (statut du préjudice commis à l’étranger de 1789, 28 USC § 1350, ou ATS) qui autorise les ressortissants étrangers à engager des poursuites devant les tribunaux américains pour des infractions au droit international ou à un traité signé par Washington.
Cette décision représente "une expansion déconcertante de la responsabilité personnelle devant la justice" qui est "inconciliable avec les décisions précédentes de la haute cour", avait estimé Daimler dans son recours devant la Cour surpême. Si la décision de la cour californienne est confirmée, elle aura "de profondes implications pour les entreprises étrangères" qui sont ainsi "innombrables à être potentiellement sujettes à une responsabilité personnelle aux Etats-Unis", avait estimé Daimler.
Daimler AG avait obtenu gain de cause devant un tribunal de première instance mais a été débouté par une cour d’appel de Californie, où le groupe détient une filiale à 100 %. Soutenue par de grandes entreprises, des banques et des entreprises en Allemagne et en Europe, mais aussi par le gouvernement Obama, Daimler prétend "n’avoir aucune connexion avec les Etats-Unis".
Les plaignants rétorquent que Daimler détient en totalité Mercedes Benz-USA, installée en Californie, d’où Mercedes commercialise les voitures de la maison mère dans l’ouest américain. Daimler gagne "des milliards de dollars chaque année en vendant ses voitures de luxe en Californie", soulignent-ils dans leur document soumis à la Cour.
QUELLE COMPÉTENCE POUR LES TRIBUNAUX AMÉRICAINS ?
"La question qui se pose aux juges [de la Cour suprême] c’est à quel point ce lien est significatif" pour permettre des poursuites aux Etats-Unis, commente Lyle Denniston, expert de ScotusBlog, un site qui suit l’activité de la Cour suprême. Dans son arrêt, la cour d’appel de San Francisco a estimé que "les tribunaux américains ont un grand intérêt à redresser les abus sur les droits internationaux de l’homme".
"Quand des entreprises comme DaimlerChrysler – du nom de Daimler AG avant qu’il ne vende sa participation dans l’américain Chrysler – travaillent en tandem avec de violents dictateurs, militaires et même des organisations terroristes, en jouant un rôle dans d’horribles violations de droits de l’homme, elles doivent rendre des comptes", fait valoir Misty Seemans, d’EarthRights International, qui a déposé une motion de soutien aux plaignants argentins.
L’organisation de défense des droits de l’homme, qui s’inquiète d’une "tendance déconcertante de la Cour suprême favorable aux entreprises", avec 61 % des décisions en leur faveur ces cinq dernières années, estime que "si la cour accepte l’argument de DaimlerChrysler, elle donnera aux multinationales étrangères un énorme avantage sur nos entreprises : l’autorisation de jouir de tous les privilèges de faire des affaires aux Etats-Unis avec la garantie de ne pas être poursuivies".
L’administration Obama souhaite une approche au cas par cas et que les tribunaux américains puissent être saisis pour les affaires susceptibles d’être en contradiction avec la diplomatie des Etats-Unis ou le respect des droits de homme, notamment les affaires de torture. Elle estime que permettre aux entreprises étrangères d’être poursuivies "pourrait affecter les relations diplomatiques des Etats-Unis et ses intérêts économiques et commerciaux"’.
Au cours des vingt dernières années, plus de 150 plaintes s’appuyant sur l’Alien Tort Statute pour accuser des sociétés américaines et étrangères d’infractions commises dans une soixantaine de pays hors des Etats-Unis ont été déposées. La Cour suprême a semblé mettre des limites à la loi ATS, en soulignant que la justice américaine ne pouvait pas poursuivre des entreprises suspectées de violations des droits de l’homme commises à l’étranger, une victoire dans ce cas pour Shell, accusé de complicité de torture par des Nigérians, dans l’affaire Kiobel contre Royal Dutch Petroleum.
http://mobile.lemonde.fr/ameriques/...
Imprimer cet article
Open all references in tabs: [1 - 4]