BUENOS AIRES (AFP) - Musique métisse colombienne, sensuelle et tropicale, la cumbia a conquis l'Amérique latine et a pris en Argentine une tonalité électronique inédite dans les quartiers défavorisés de Buenos Aires, une genre adopté par la jeunesse de tous horizons sociaux.
La cumbia a constamment évolué depuis le 17e siècle. Elle se décline en versions panaméenne, cubaine, péruvienne ou mexicaine avec comme ADN: percussions africaines, maracas et flûte des indiens des Caraïbes, sur des textes relatant le quotidien des habitants des villas, les favelas argentines.
Dans tous les bars, discothèques ou fêtes privées, la jeunesse argentine se déhanche sur les pistes de danse au son des tubes des Wachiturros ou Nene Malo.
Les Wachiturros, cinq jeunes originaires de Moron, banlieue ouest de Buenos Aires, est la formation la plus en vue.
"On a imposé une mode musicale et visuelle", dit fièrement à l'AFP le leader du groupe, Emanuel Gonzalez, 23 ans, plus connu comme DJ Memo, look de rapeur élégant et sourcils épilés.
Leurs fans suivent leur mode vestimentaire: polo Lacoste, vêtements de marque, piercing, casquette à l'envers et s'épilent les sourcils.
Chantée par des adolescents désargentés, elle narre le quotidien des plus démunis, leurs joies, leur peines, les fiestas, la beauté des filles et leur anatomie.
"J'adore sortir de nuit, je n'ai pas peur de l'obscurité (...) les femmes se laissent envelopper, le rythme te gagne", chantent les Wachiturros dans une de leurs chansons.
La crise économique de 2001 a déclenché une mutation de la cumbia en Argentine. Les textes sont devenus plus politiques, évoquant de manière factuelle, sans pour autant les dénoncer, la discrimination raciale, la violence, la marginalisation des plus pauvres et la délinquance.
"A seulement 15 ans/dont 5 comme voleur/Avec une carton de vin/Il est sorti de chez lui/.../une triste fin l'attendait/C'est une balle policière qui a mis fin à ses jours", chantent Pibes chorros (Les gamins voleurs), un des groupes du moment.
Dans un monde presque exclusivement masculin, Mariana La Yegros, une trentenaire argentine à la coiffure afro, a imposé une "cumbia digital" avant-gardiste et plus élaborée. Récemment mise en avant par la station française Radio Nova qui a qualifié "Viene de mi" (cela vient de moi), sa chanson phare, de "tube de l'hiver". En Allemagne, elle a été révélée sur les ondes de Funkaus Europa, spécialisée dans les musiques du monde.
Dans ses textes, elle veut casser le moule machiste qui place l'homme sur un piédestal et la femme dans une posture d'adoration. Sans délaisser la scène -elle s’apprête à faire une tournée en Europe- cette soprano à la formation lyrique aime se produire dans les rues, comme lors du dernier carnaval de Buenos Aires où elle a donné devant chez elle un concert après avoir lancé des invitations sur les réseaux sociaux.
La cumbia en Argentine a d'abord séduit les classes populaires avant de convaincre la classe moyenne au début des années 2000, observe l'anthropologue argentin Pablo Seman, puis de "pénétrer de manière transversale tous les secteurs de la société".
Le groupe Agapornis, fondé par huit jeunes des beaux quartiers, a par exemple adapté en cumbia des chansons de Madonna, Queen ou des Beatles, avec un succès tel qu'ils ont signé un contrat avec la maison de disques Sony.