L’« enfer » des Argentins face à la flambée des prix

La présidente argentine Cristina Kirchner, lors d'un discours télévisé, à Buenos Aires, le 5 avril 2013.

Buenos-Aires, correspondante

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Plus d'une décennie après la débâcle de 2001, qui avait débouché sur l'un des plus importants défauts de paiement de l'histoire (75 milliards de dollars, soit 55,5 milliards d'euros), l'Argentine affronte une nouvelle crise financière.

Les prochaines semaines seront cruciales pour le gouvernement, qui a dévalué le peso, la devise nationale, de 13 % jeudi 23 janvier et assoupli partiellement l'accès des ménages aux dollars. Toute la question est de savoir si ces mesures permettront d'enrayer la fonte des réserves de change, désormais passées sous le seuil symbolique des 30 milliards de dollars.

A Buenos Aires, les prix flambent. Des produits alimentaires jusqu'aux biens électroménagers, en passant par les transports. Le quotidien est angoissant pour la grande majorité des Argentins qui doivent adapter leur budget à une inflation galopante (autour de 30 %), très loin des chiffres officiels (10 %).

Des produits de base ont disparu des gondoles des supermarchés. De nombreux commerçants n'affichent plus d'étiquettes sur des produits dont les prix s'envolent preque tous les jours. Certains clients, consternés, achètent un ou deux articles ; d'autres repartent, effarés, à la recherche de meilleurs prix.

PÉNURIES ÉNERGÉTIQUES

« Cela fait une heure que je cherche des tomates, explique Alejandra Huergo, une sexagénaire qui fait ses courses en banlieue. J'en ai vu à 50 pesos le kilo, alors qu'elles étaient à 10 pesos en décembre 2013 ! » Elle raconte que ses enfants s'organisent avec des amis pour louer une camionnette, une fois par mois, afin d'aller acheter directement au Marché central, où, sans intermédiaires, les prix sont plus avantageux.

« C'est l'enfer », résument beaucoup de citoyens. Les chaleurs record de l'été austral ont mis en évidence les pénuries énergétiques d'un pays pourtant riche en gaz et en pétrole. Avec des températures de plus de 40 degrés, des milliers d'Argentins ont passé les fêtes de fin d'année sans eau ni électricité. Ces coupures se sont parfois poursuivies pendant plusieurs semaines.

Le tarif du billet de métro a doublé et celui du bus est passé de 2,50 à 6 pesos début janvier, alors que les trains et les autobus sont dans un état calamiteux.

La dévaluation du peso, à laquelles autorités se sont résolues, contraintes et forcées, était réclamée par les exportateurs, désireux de vendre leurs produits à des prix plus compétitifs.

Par ailleurs, le contrôle des importations limite l'approvisionnement en pièces détachées de l'industrie et des PME, contraints de freiner leur production. Pas de clés, par exemple, chez le serrurier de quartier, car la plupart sont importées du Brésil. Dans les hôpitaux, le manque de prothèses et d'autres articles médicaux venant de l'étranger retardent des opérations. Le prix des médicaments devrait augmenter de 50 %.

LE PRIX DES MÉDICAMENTS DEVRAIT AUGMENTER DE 50 %

Une des principales préoccupations de la population, qui n'a plus confiance dans le peso, est de s'approvisionner en billets verts. Traumatisés par la crise de 2001 et les périodes d'inflation galopante qui ébranlent le pays depuis quarante ans, les Argentins épargnent en effet en dollars.

Ils achètent des dollars « bleus », ce dollar parallèle qui s'échange au marché noir, dans les cuevas (« grottes ») clandestines dans l'arrière-boutique d'agences de voyages ou d'entités financières, ou carrément dans la rue, interpellés par les arbolitos (sapins de Noël), ces inconnus qui murmurent des taux de change alléchants aux oreilles des passants et des touristes, porteurs de devises. Le dollar officiel est à 8 pesos, le parallèle à 13.

La présidente argentine, Cristina Kirchner, reproche aux grandes entreprises d'augmenter arbitrairement leurs prix et aux producteurs agricoles de ralentir la commercialisation des récoltes de soja, qui pourraient renflouer la banque centrale. Mais le pays, de l'avis de nombreux économistes, souffre des erreurs de politique du gouvernement péroniste qui n'a pas mis à profit les années 2003-2009 de forte croissance (plus de 7 % par an) pour diversifier l'économie du pays.

De nombreux Argentins ont en mémoire l'hyperinflation (4 924 % en 1989), qui a poussé l'ancien président Raul Alfonsin (radical) à abandonner le pouvoir sept mois avant la fin de son mandat. Et, pire encore, provoqué l'effondrement financier de 2001 qui a obligé l'ancien président Fernando de la Rua (radical) à s'enfuir en hélicoptère du palais présidentiel.

LES SYNDICATS RÉCLAMENT DES AUGMENTATIONS

A l'époque, la récession avait été extrêmement violente, avec près de la moitié de la population tombant dans la pauvreté. Des milliers d'Argentins avaient perdu leur épargne à cause du gel des avoirs bancaires, baptisé corralito (« petit enclos »), mis en place le 3 décembre 2001, pour stopper la fuite de capitaux et empêcher la faillite des banques.

La colère de la classe moyenne avait explosé, à la veille de Noël, avec une série de manifestations massives, parfois violentes, qui firent vingt-huit morts. La coutume de manifester en frappant sur des casseroles (cacerolazos) existe toujours, de façon plus isolée. Des cacerolazos ont ainsi retenti à Noël pour protester contre les coupures d'énergie.

La rentrée de mars s'annonce particulièrement difficile, à l'approche des traditionnelles négociations salariales d'automne dans les branches. Les syndicats réclament des augmentations de 20 % à 25 % par an, en fonction de l'inflation réelle. En décembre 2013, une grève très dure des policiers, qui a entraîné des pillages de commerces dans plusieurs provinces, a permis aux grévistes d'obtenir une hausse de leur paie de l'ordre de 50 %.

Mais, en dépit d'un malaise social croissant, le gouvernement semble décidé à brider ces revendications salariales et à donner des signes de sa volonté de restaurer les finances publiques dans un pays confronté à l'évasion fiscale, à la fuite des capitaux et à la baisse des investissemenbts étrangers.

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