«Je me dis souvent que le pape François me donne envie d’y croire …

Arnaud Bdat  propos du pape Franois: Il y a quelque chose en lui qui dpasse la seule catholicit. Cest devenu un personnage marquant, comme un Nelson Mandela.  DR/Robert Siegenthaler

Arnaud Bédat à propos du pape François: «Il y a quelque chose en lui qui dépasse la seule catholicité. C’est devenu un personnage marquant, comme un Nelson Mandela.» © DR/Robert Siegenthaler

29.07.2015

Eglise catholique • Arnaud Bédat est un reporter, journaliste d’investigation suisse, collaborateur de différents médias («L'Illustré», «Paris Match»...). En mars 2013, il est parti en Argentine, sur les traces du nouveau pape François, du temps où il n’était «que» Padre Jorge Mario Bergoglio. Au fil des rencontres faites là-bas, un livre est né: «François l’Argentin – Le pape intime, raconté par ses proches». Interview de l'auteur.

Propos recueillis par Christiane Elmer, APIC

- Arnaud Bédat, vous dites ne pas avoir la foi. Ce n’est donc pas en tant que croyant que vous avez entrepris la rédaction de votre ouvrage «François l’Argentin»?

Effectivement. C’est l’homme, derrière l’ecclésiastique, qui m’a fasciné. Mais l’un et l’autre sont intimement mêlés et imbriqués. Tout a commencé un peu par hasard parce que mon journal m’avait envoyé couvrir le conclave en mars 2013. J’étais parmi les centaines de milliers de personnes qui ont vu apparaître le cardinal Tauran au balcon: «Habemus papam». On attendait le pape. Et il est arrivé. Sans doute vous souvenez-vous de son fameux: «Bonsoir!» à la nuit tombante. Dès les premières secondes, ce pape argentin, venu – comme il l’a dit lui-même – du bout du monde, a fasciné. Si bien que mon journal m’a appelé le soir même pour me dire de prendre tout de suite un avion pour Buenos Aires.

De Rome, j’ai aussitôt décollé pour Buenos Aires pour faire ce qui, au départ, ne devait être qu’un simple article pour «L’Illustré», avec quelques premiers témoignages cueillis sur place. Il était notamment prévu que je rencontre, dans la banlieue de Buenos Aires, la sœur du nouveau pape, Maria Elena. Voilà comment est né ce livre. Avec les méthodes du journaliste que je suis, il s’agissait de m’intéresser à un personnage. Je l’ai fait avec le pape François, mais ça aurait pu être Maradona, Cristina Kirchner, en fait n’importe quel autre personnage intéressant de l’histoire contemporaine.

- Et la fascination envers Jorge Mario Bergoglio est venue au fur et à mesure que vous appreniez à le connaître?

Elle est venue assez vite. Pendant quatorze heures, en plein ciel entre Rome et Buenos Aires, vous êtes comme déconnecté et ne saisissez pas très bien ce qui se passe. Puis, vous arrivez à Buenos Aires et vous êtes tout de suite pris par cette espèce d’euphorie des Argentins pour l’élection de l’un des leurs, le premier pape latino-américain, le premier pape jésuite et, très vite, on apprend qu’il est le pape des pauvres. Il y a certes eu quelques petites polémiques naissantes autour de la dictature, qui seront vite désamorcées.

Il y a comme un souffle qui emporte; on rencontre les premiers témoins. Pour m’aider dans mes recherches et mes rencontres, je travaille avec un Argentin, d’origine suisse. Très vite, on s’aperçoit qu’on a affaire à un personnage qui n’est pas banal du tout. On prend vite conscience que ce type est complètement hors des sentiers battus! On le voit – souvenez-vous – aller payer sa chambre d’hôtel, en soutane blanche, dans Rome. On le voit renoncer à la voiture protocolaire et opter pour une voiture banale ou prendre le bus…

En même temps, des images en provenance de Rome sont diffusées à Buenos Aires et je me rappelle – j’étais alors avec un collègue de «Paris Match», dans notre hôtel – qu’on a vu le pape prendre un bain de foule devant la porte Ste Anne, à Rome. Une caméra s’est approchée de lui et on lui a dit: «Saint Père, quelques mots pour la télévision argentine!». Vous, vous vous attendez à quelque chose du genre: «Je suis très heureux pour le peuple argentin; je prie pour lui….». Bref, vous imaginez quelque chose d’un peu solennel. Et vous savez ce qu’il dit, le pape? «Que San Lorenzo gagne!» San Lorenzo, c’est son équipe de foot, celle à laquelle il est très attaché. Et, juste pour la petite histoire, en mars 2013, cette équipe était dernière du championnat de football argentin et à fin 2013, elle était championne d’Argentine!

- Un miracle?

Je ne sais pas. C’est en tout cas un signe!

- Est-ce que cette humanité du pape, cette cohérence dont il fait preuve, peuvent expliquer un tel engouement, une telle fascination, un tel… amour du peuple à son égard?

Comme le dit Federico Valls qui était son assistant et attaché de presse à l’archevêché de Buenos Aires, les gens n’en reviennent pas qu’avant d’être pape, cet homme était un type comme eux. Comme vous et moi. Quelqu’un qui allait acheter son journal au kiosque du coin, qui allait prendre son café, qui se déplaçait en métro ou en bus, qui allait chez son coiffeur, sa pédicure, qui allait acheter ses chocolats dans une petite confiserie pas loin de la cathédrale, qui allait rendre visite à son orfèvre, qui avait son médecin chinois… bref quelqu’un qui avait un cercle social, un réseau.

- Un homme… ordinaire, en somme?

Totalement. Et, surtout, un grand flâneur. Je crois qu’il connaît toutes les rues de Buenos Aires. Il a marché partout. Il marche énormément. Ce n’est pas pour rien qu’il avait une pédicure qu’il allait voir tous les mois pour lui confier ses pieds. C’est une femme fabuleuse, cette pédicure! Pendant sept ou huit ans, tous les mois, durant 45 minutes, elle a eu les pieds du futur pape entre les mains. Bergoglio et elle ont beaucoup parlé ensemble.

- Vous avez parlé avec plusieurs personnes qui ont connu le pape, du temps où il était à Buenos Aires, on peut lire tout cela dans votre livre. Est-ce que ça a été difficile de les rencontrer?

Oui et non. Les premières personnes sont un peu arrivées d’elles-mêmes: Maria Elena, la sœur du pape, Federico Valls, son assistant à l’archevêché, Alicia Oliveira, aujourd’hui décédée, qui était sa meilleure amie, avocate des droits de l’homme; une femme extraordinaire! Et puis, il y a eu l’idée d’aller voir tous les petits métiers, toutes les personnes qui faisaient partie de l’univers du pape. Car, la plupart du temps, Jorge Mario Bergoglio avait avec ces gens de vraies conversations. Et l’addition des témoignages du kiosquier, de la pédicure, du confiseur, du cordonnier, du tailleur, de tous ces personnages de la vie quotidienne, trace une mosaïque, un portrait parfait du pape tel qu’il était dans son quotidien argentin.

- Que vous êtes-vous dit lorsque vous avez su que Bergoglio avait été élu?

Je m’attendais à ce qu’on élise un pape latino-américain, mais j’imaginais plutôt le cardinal brésilien Scherer, ce qui était une grave erreur de jugement. C’était rigoureusement impossible: il était trop marqué curie. Et quand j’ai entendu prononcer «Bergoglio», son image m’est venue à l’esprit et je me suis dit: «Oups! Ce doit être un type un peu dur, un peu rigide…» Mais tout s’est vite dissipé dès qu’il est apparu sur le balcon de la Place St-Pierre. Un homme qui, en toute simplicité, est apparu en disant «Bonsoir» et a demandé qu’on prie pour le pape Benoît XVI et pour lui! Ce qui fait son succès, c’est qu’il est très simple; ce pape pourrait très bien être le prêtre de votre paroisse ou de votre quartier. C’est en cela qu’il fascine les gens. Ce n’est pas quelqu’un de la curie, du sérail; ce n’est pas un prince de l’Eglise déjà bien installé dans ses privilèges. Ce pape, en fait, c’est un curé de campagne. Il est resté Padre Jorge.

- Une phrase du saint Père qui vous a marqué?

Il a donné une interview à un journal argentin et a répondu ceci à la journaliste qui lui demandait quelle image il aimerait laisser de lui: «J’aimerais qu’on se souvienne de moi comme d’un type bien. Et j’essaie de faire le bien». Une réponse magnifique. Qui dit tout. C’est quelqu’un de profondément bon, de profondément croyant, mais n’oublions pas que derrière cette image extrêmement affable et populaire, il y a un vrai décideur. Quand il décide, il décide. Federico Valls a raconté que, comme tout le monde, il lui arrivait de se tromper. Mais, une fois qu’il a décidé, il ne déroge plus.

- Il y a une fermeté en lui…

Une fermeté énorme. Elle apparaît dans sa vie argentine, dans son opposition à Cristina Kirchner, notamment, sur «Le mariage pour tous». C’était un problème récurrent en Argentine avant que ça le devienne ici. Et partout où il y a une véritable opposition, il y a un véritable bras de fer. Un bras de fer qui a failli mal finir car on sait aujourd’hui que même si Cristina Kirchner va de temps en faire faire un peu “la groupie” à Rome et que le pape est très miséricordieux, les relations entre eux ont été très dures! C’est un pape qui ne mâche pas ses mots, qui prend position contre la guerre en Syrie, les relations avec Cuba…

- Et un pape qui n’est pas tendre non plus envers le clergé…

Oui, qui les remet à l’ordre, qui leur dit: «Arrêtez les voitures officielles». Il y a une anecdote formidable qui circule au Vatican. Je suppose qu’elle est vraie. Il y a un cardinal qui passait dans une superbe voiture. Le pape a demandé qui était au volant. On lui a dit qu’il s’agissait du cardinal Bertone. Quelques semaines plus tard, le pape s’est séparé de Bertone, qui était un cardinal d’envergure spirituelle certaine, mais qui était un peu… le Sepp Blatter de la curie!

- Qu’est-ce qui vous a le plus touché parmi les nombreuses facettes du Saint Père?

C’est difficile à dire. C’est d’abord son extraordinaire humilité, son extraordinaire bonté. Et il y a un truc qui est génial avec lui, c’est que toutes les personnes qui le rencontrent en tombent littéralement amoureuses! Et vous voyez que c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui à l’échelle mondiale. Quiconque rencontre le pape, lui serre la main, même les frères ennemis, Palestiniens ou Israéliens, s’embrassent après parce qu’ils ont rencontré le pape!

- Y aurait-il en ce pape, à vous entendre, comme une sorte de sainteté, prise dans un sens très large?

Il y a quelque chose en lui qui dépasse la seule catholicité. C’est devenu un personnage marquant, comme un Nelson Mandela.

- Une icône?

Une icône, un guide spirituel, mais qui va au-delà de la sphère de la religion. Même un pape comme Jean Paul II, qui était extrêmement populaire et médiatisé, n’arrivait pas à exalter et toucher les foules à ce point-là. Le pape François est vraiment le premier à susciter l’adhésion du grand public. Si vous alliez à ses premières audiences à Rome, après son élection, il y avait beaucoup de ferveur. Si vous y retournez maintenant, pardonnez-moi la comparaison, mais… c’est Madonna ou Michael Jackson dans les années 1980! Les gens applaudissent, crient, pleurent, c’est complètement fou! Il faut vivre cela dans la foule, à la Place St-Pierre. Les gens sont dans une espèce d’adoration devant lui.

- Il fait du bien à l’Eglise?

Il est en train de faire la révolution! Il a des propos novateurs, inimaginables sous Benoît XVI ou Jean Paul II. Tout en s’inscrivant dans la lignée de son prédécesseur il apporte un souffle nouveau. Et il va encore énormément nous surprendre. Il y a eu – et cela va se poursuivre cet automne – le Synode sur la famille. L’étonnement va continuer. Oui, ce pape fait du bien à l’Eglise et fait du bien au monde!

- On vous sent profondément touché. Par la grâce, par la rencontre… Par l’étincelle de la foi, peut-être?

Je suis agnostique. Je me dis souvent que le pape François me donne envie d’y croire… Il se passe des choses un peu bizarres, un peu inexplicables, autour de moi, depuis cette histoire du livre. Je ne suis pas en train de virer complètement barjo, mais… il y a des choses déconcertantes… Qui m’échappent.

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