Il parait que Javier Zanetti a quarante ans. José Mourinho ne le croirait pas, lui qui déclarait, alors qu'il entrainait l'Argentin à l'Inter: "C'est une force de la nature, ils ont dû se tromper sur sa date de naissance sur son passeport." Et pourtant, cela semble bien vrai.
Et s'il est éloigné des terrains depuis sa terrible rupture du tendon d'Achille, encourue contre Palerme le 28 avril dernier, le légendaire capitaine de l'Inter ne compte pas s'arrêter là. "C'est normal de devoir changer les pneus après avoir parcouru autant de kilomètres", avait déclaré l'Argentin, comme pour rassurer des tifosi effarrés à l'idée de ne plus voir le symbole des Nerazzurri sur un terrain de football.
Un international avec un sac en plastique
Javier Zanetti ne ment pas: des kilomètres, il en a fait depuis le début de sa carrière, il y a 21 ans déjà. Après avoir jonglé plusieurs années entre ses devoirs, les chantiers de son maçon de père et les ballons de football, Javier fait le choix du ballon rond et s'engage au C.A. Tallares en 1992. Un an plus tard, il rejoint déjà Banfield, où il est titulaire en D1 à même pas vingt ans.
Deux saisons durant, l'Argentin fait parler sa vitesse, sa grinta et sa technique sur le couloir droit. Des performances remarquées qui lui valent une première pige avec l'Albiceleste en novembre 1994, contre le Chili. Et surtout, un transfert à l'Inter. Massimo Moratti, tout nouveau président des Nerazzurri, claque 6,5 millions d'euros pour Zanetti. Une somme folle pour un joueur si peu connu - les tifosi de l'Inter savent que le président est coutumier du fait - mais une bouchée de pain, avec le recul: "Ce mec est génial! C'est un joueur légendaire pour nous. Il est tellement incroyable que je ne sais pas quoi dire. Il est malin, car chaque année, il est plus fort."
Malgré la somme, c'est dans l'anonymat que Zanetti débarque à l'Inter. L'histoire est tellement folle qu'elle semble tenir plus de la légende que du fait réel. L'Argentin débarque à Appiano Gentile, centre d'entrainement de l'Inter, avec un sac…en plastique. À l'intérieur, ses crampons et une pièce d'identité, indispensable pour passer le portail d'entrée après s'être faufilé au milieu de tifosi venus admirer Paul Ince ou Roberto Carlos.
Youtube n'existait pas, Internet frémissait à peine, personne dans la Botte ne connaissait Javier Zanetti: "Quand je suis arrivé sur le balcon (pour la présentation des recrues), les fans n'en croyaient pas leurs yeux. Je venais juste de passer au milieu d'eux, et ils n'avaient aucune idée de qui j'étais. Pas même le vigile à la porte." Dix-huit ans plus tard, personne à Milan n'ignore le visage du Capitano. Surtout que l'Argentin n'a pas changé depuis 1995: même visage de mannequin, même coupe de cheveux d'un autre âge.
La BMW et le Tracteur
L'intégration du jeune latino à l'Inter se poursuit sur le même ton. Pour son premier entrainement, Zanetti se pointe sur le parking des joueurs au volant d'une BMW flambant neuve. Un cadeau du club lors de sa signature. Cadeau embarrassant pour le fils de maçon: "La veille de mon premier entrainement, je me suis senti tout bizarre. Alors j'ai appelé Giuseppe Bergomi (le capitaine de l'époque) et je lui ai demandé si ça se faisait de venir en BMW. Je ne voulais pas adresser un faux message à mes coéquipiers. Mais quand je suis arrivé, je me suis rendu compte que ma voiture était la plus moche de tout le parking, et je me suis senti beaucoup mieux."
Le baptème du feu a lieu le 27 août 1995. l'Inter affronte Vicenza pour la première journée du Calcio, et Zanetti est sur la pelouse. Comme toujours, en fait. L'Argentin ne manquera que deux matches cette saison-là. En vrai, jusqu'au printemps dernier, les blessures n'ont jamais eu d'emprise sur Zanetti. Depuis son arrivée à l'Inter, il tourne à 30 matches par an minimum, et a terminé l'exigeant Calcio à six reprises sans manquer la moindre minute.
San Siro tombe rapidement amoureux de celui que la Curva Nord surnomme désormais Il Trattore ("Le Tracteur" en VF) pour sa capacité à bouffer la craie sans relâche sur le côté droit. Au milieu ou derrière, Zanetti devient un indéboulonnable. Son temps libre, il le passe à…s'entrainer - il s'est même rendu au centre d'entrainement au matin de son mariage - et à téléphoner de longues heures durant à Paula De la Fuente, sa chérie restée au pays, dans la cabine téléphonique qui se trouve devant chez lui.
Buts de légende
L'Inter des nineties, c'est le romantisme par excellence. Une équipe qui empile les grands noms, sans doute imbattable sur console, mais qui ne gagne jamais rien. Et la tendance se confirme en finale de la Coupe de l'UEFA 1997. Face au Schalke 04 de Marc Wilmots, les Nerazzurri s'inclinent aux penaltys devant leur public. Une défaite qu'Il Trattore vit du banc, remplacé par Roy Hogdson quelques instants avant la cruelle séance de tirs au but. L'une des rares fois où Zanetti aura manifesté sa colère devant son entraineur.
Mais ce n'est que partie remise. L'année suivante, l'Inter est à nouveau en finale, contre la Lazio cette fois. Emmenée par son trio Ronaldo-Zamorano-Djorkaeff, la formation milanaise dévore les Laziali sur un 3-0 bien tassé. Ronaldo met au supplice la défense, un certain Nesta en tête, mais c'est Zanetti qui s'offre le plus beau moment du match en décochant une frappe magique de l'exter' pour faire 2-0 et inscrire l'un des deux plus beaux buts de sa carrière.
L'autre but magique de l'Argentin, c'est avec la sélection argentine qu'il l'a marqué. Huitième de finale du Mondial 98, l'Albiceleste est menée 2-1 par l'Angleterre, conduite par un Michael Owen supersonique. Coup franc pour l'Argentine, trois hommes derrière le ballon. Veron s'élance, et offre un décalage somptueux à Zanetti, qui a subtilement contourné le mur. La suite, c'est une frappe du gauche monumentale qui laisse Seaman impuissant et offre la prolongation aux Sud-Américains.
Il Capitano et ses trophées
Bergomi prend sa retraite à l'aube de la saison 98/99, et c'est Javier Zanetti qui hérite du brassard. Il Trattore devient Il Capitano, à l'aube d'une période de vaches maigres qui durera six ans. L'Inter doit attendre 2005 et une Coupe d'Italie pour soulever un trophée.
C'est le début des années folles, de la Pazza Inter. Sous la houlette de Mancini, Zanetti se muscle les biceps à force de soulever des trophées: championnat, coupe, supercoupe. Mais l'Europe se refuse aux Nerazzurri jusqu'à 2010. Cette année-là, l'Inter réalise son fameux Triplete. En soulevant la Coupe aux Grandes Oreilles le 22 mai 2010 à Madrid, Il Capitano vit le plus grand moment de sa carrière, au terme d'une saison qu'il a passée entre le côté gauche de la défense et un poste de médian défensif, Maicon étant devenu indiscutable sur le côté droit.
Malgré cette année folle, Maradona snobe Javier et le laisse à la maison pour le Mondial 2010. Zanetti n'aura finalement disputé "que" deux Coupes du Monde, ce qui ne l'empêche pas d'être le recordman de sélections sous la vareuse albiceleste (145 capes).
Un homme bionique
2011 est l'année de tous les records. Le 11 mai, Zanetti dispute son millième match officiel, toutes compétitions confondues. En fin d'année, contre Udine, il reçoit son premier carton rouge en Serie A, au bout de 548 rencontres dans le championnat italien.
Enfin, et surtout, il devient une véritable légende de l'Inter en disputant son 758e match sous la liquette nerazzurra le 20 septembre. Zanetti dépasse ainsi l'illustre Pepe Bergomi, surnommé l'Oncle par les tifosi. Ceux-ci rendent d'ailleurs hommage à leur capitaine avec une banderole qui résume bien le paradoxe Javier Zanetti: "Tu as dépassé l'Oncle, mais tu ressembles toujours à son neveu."
Car oui, l'âge n'a pas d'emprise sur Il Capitano. Andrea Stramaccioni, coach de l'Inter la saison dernière et deux ans…plus jeune que son capitaine, saluait ainsi le 800e match de Zanetti pour le club lombard: "Je ne pense même pas avoir vu 800 matches dans ma vie. Il faudrait trouver un moyen de cloner notre capitaine. Il n'est pas humain, c'est un homme bionique."
Et pourtant, l'humanité de Javier Zanetti a cruellement éclaté à la face du monde le 28 avril dernier, en même temps que son tendon d'Achille se déchirait sur la pelouse de Palerme. Oui, Il Capitano peut aussi se blesser. Et une telle blessure à presque 40 ans, cela sonnerait comme une fin de carrière pour la plupart des joueurs. Mais pas pour Javier Zanetti. "Un jour, j'ai dit en plaisantant qu'il était capable de jouer jusqu'à cinquante ans", explique Bergomi. "Aujourd'hui, je pense sérieusement qu'il peut jouer jusqu'à 45 ans. Comme Paolo Maldini, c'est lui qui décidera quand et pourquoi il arrête le football." Le numéro 4 de l'Inter ne compte pas laisser une blessure décider à sa place.