« Repudio », « rejet » en espagnol. C’est le terme que l’on voit le plus fleurir sur les comptes Twitter argentins, après la parution, lundi 23 novembre, d’un éditorial très polémique dans les colonnes du quotidien de droite La Nacion. Au lendemain de la victoire de Mauricio Macri, le candidat libéral, à l’élection présidentielle argentine, cet éditorial non signé et intitulé « No mas venganza » (« plus de vengeance ») appelle à la libération des personnes condamnées pour atteintes aux droits de l’homme commises lors des années de dictature, de 1976 à 1983.
« La cause des droits de l’homme ne peut se défendre avec des mensonges. Elle ne peut pas se défendre non plus avec de nouvelles violations des droits de l’homme, comme celles que l’on voit aujourd’hui dans notre pays », peut-on lire dans cet éditorial. Avec la victoire de Mauricio Macri, argue La Nacion, « l’heure est venue de remettre les choses à leur place ».
« Il y a plusieurs questions urgentes à résoudre, avance cet éditorial : l’une d’elles est la souffrance honteuse des condamnés, des inculpés et des suspects de crimes commis durant les années de répression, et qui se retrouvent en prison, en dépit de leur vieil âge. A ce jour, ils sont plus de 300 détenus à être morts en prison, et cela constitue une vraie honte nationale. » Pour La Nacion, qui reprend en partie l'argumentaire des responsables de la dictature, « les faits tragiques des années 1970 ont été minorés par une gauche idéologiquement compromise avec les groupes terroristes qui assassinèrent avec des armes, des bombes et des cellules d'intégration qui ne diffèrent en rien de ceux qui ont provoqué, le vendredi 13 à Paris, une secousse mondiale ».
Cet éditorial polémique, qui absout les tortionnaires et met sur le même plan les 30 000 « disparus » de la dictature argentine et les terroristes qui ont ensanglanté la France le 13 novembre, provoque une salve de critiques, y compris dans les rangs mêmes du quotidien.
Repudio el editorial de La Nación del día de hoy. Ni olvido ni perdón. No le hace ningún favor a un gobierno que llama a la concordia.Triste
— Laura Rocha (@laurarocha) November 23, 2015
« Je rejette l’édito de La Nacion du jour. Ni oubli, ni pardon. Cela ne sert aucun gouvernement que l’on appelle à la concorde. [Je suis] triste », s’indigne la journaliste Laura Rocha, qui a été rejointe par des dizaines et des dizaines d'autres messages.
Trabajo en La Nación, pero no comparto el editorial de hoy. No soy el único periodista de LN que piensa así. Eso.
— Ricardo Sametband (@rsametband) November 23, 2015
« Je travaille à La Nacion, mais je ne partage pas l’opinion exprimée dans l’éditorial du jour. Je ne suis pas le seul journaliste de La Nacion à penser ainsi », écrit ce journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies.
Trabajo para el diario La Nación. El editorial de hoy es grave por donde se lo mire; un disparo a la democracia y al país.
— Patricio Insua (@pinsua) November 23, 2015
« Je travaille pour le journal La Nacion. L’éditorial du jour est grave, quel que soit le bout par lequel on le prend. Un coup porté à la démocratie et à notre pays », renchérit un collaborateur des pages sport du journal.
Une centaine de salariés se sont d’ailleurs réunis en assemblée générale et ont adopté un texte de rejet.
Histórica asamblea en @LANACION Se votó el comunicado de repudio, haremos foto general y el diario prometió darnos un espacio en papel
— Guido Molteni (@gmolteni5) November 23, 2015
Les lignes publiées dans La Nacion sont la preuve en tout cas que les plaies laissées par les années noires de la dictature en Argentine sont encore loin d'être pansées.